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La revue n° 49 Le billet de Constantin Pricop

Le billet de Constantin Pricop

La littérature - demain

Je me suis plusieurs fois posé le problème de l’existence d’une littérature universelle. J’ai écrit à de multiples reprises sur ça (j’ai aborde le sujet dans LPB il y a quelque temps...). Bien sûr, on pense qu’une telle littérature existe, et que l’expression de Goethe sur une littérature mondiale, pensant à la littérature de tous les gens du monde est déjà réalisée. Mais il faut faire attention : il s’agit des traductions. Et la condition des traductions est un autre problème. La traduction tient, à part toutes les choses qu’on dit sur ça, de la littérature écrite dans la langue de la traduction. La traduction veut dire qu’un bien étranger est ”attiré” dans le domaine d’une autre culture. Que, avec le nouveau langage, l’expérience intégrale d’un univers particulier, singularisé, équivaut à une autre expérience, révélée dans une autre langue...

 

 

La question que je me pose ici est une question qui a de nombreuses liaisons avec l’expérience de la mondialisation, qui hante maintenant le monde. C’est une expérience compliquée, qui a trop de facettes. On a les localismes, les nationalistes qui s’opposent durement à cette universalisation qui, prétendent-ils, les privent de leur identité. Il y a aussi, d’autre part, ceux qui s’opposent aux mécanismes économiques transnationaux parce que, prétendent-ils, les multinationales volent leurs places de travail, s’opposent à l’industrie nationale etc.

 

Mais, il faut noter, les multinationales font une toute autre mondialisation que celle des esprits! La mondialisation des multinationales tient de l’économie, la littérature universelle de la vie spirituelle...

 

De la vie spirituelle aussi tient la... révolution de la géographie – le monde est aujourd’hui bien plus... petit qu’autrefois. La possibilité de parcourir en quelques heures la distance jusqu’à l’autre bout du monde était inimaginable il y a quelques décennies. Mais les distances se sont compactées beaucoup plus avec l’évolution des communications. On n’a plus besoin de semaines ou de jours pour transmettre un message, mais seulement de quelques secondes. Il ne faut pas attendre des jours ou des semaines pour qu’un livre te parvienne – il peut être obtenu par internet. En quelques secondes, dans un format électronique.

 

La littérature a été ”inventée” dans le temps de la communication orale. Elle a été définie encore dans l’ère de l’écrit. De l’écrit à la main, ensuite de l’écrit à la machine à écrire ou avec les machines électroniques. Ça a donné des facilités pour l’écrivain, des facilités pour multiplier. Mais ce qui a essentiellement changé le statut de la littérature c’est la transmission de l’écriture. Ce qui s’est passé jusqu’à l’apparition de l’internet était des perfectionnements. Ce qui se passe avec le fonctionnement généralisé de l’internet c’est une révolution. Ça aura des effets sur la condition de la littérature? Elle changera? Elle changera comment?

 

La facilité de transmettre l’écriture, l’approche des écrivains, des lecteurs, le contact non seulement spontané, mais direct, entre l’écrivain et les lecteurs va changer, a déjà changé le champ littéraire. Les instances traditionnelles de la littérature perdent leur importance (les revues, les maisons d’édition, les critiques, les prix littéraires… sont beaucoup moins importantes qu’autrefois). Je vais expliquer à une autre occasion comment ca se produit.

Les contacts entre les écrivains de tout le monde et les lecteurs de tout le monde ont aussi pris une toute autre dimension. Ils sont plus proches et ils n’ont plus besoin des intermédiaires.

 

On peut se demander comment sera perçu cela au niveau de la littérature du monde. On arrivera à écrire tous dans une langue (ou dans quelques langues seulement) devenue(s) universelle(s)? On gardera la langue et les autres particularités des tribus, laissant seulement une partie de la vie se mondialiser? C’est difficile à prévoir. Mais je risque quand-même une prévision. D’abord les particularités locales seront gardées, avec plus ou moins de férocité. Mais dans le temps on trouvera un moyen de renoncer aux traductions. Je ne sais pas comment. Mais ça doit arriver. On trouvera un moyen de rapprocher les écrivains (ou la place que tiendra l’écrivain dans ces époques futures) et les consommateurs de littérature. Un moyen universel – comme universelle est la technique de communication qui serre maintenant, dans le même réseau, les cerveaux du monde.

 

 

Constantin Pricop

 

PS. J’ai lu dans ”The New Rambler” un compte rendu signé Sean Nam du livre The Global Novel par Adam Kirsch. Le livre je ne l’ai pas encore

lu, mais je vois que plusieurs commentateurs se posent aujourd’hui les

mêmes questions sur la littérature mondiale…