Pour la page blanche
Calique Dartiguelongue
Lisibilité
Il y a en moi des pensées qui ne se sont jamais rencontrées,
et même, des pensées qui s’évitent, aimantées par d’invisibles pôles,
comme s’il y avait une géographie sous-jacente,
bien que les routes soient sans cesse effacées
et ressurgissent sans cesse en de nouveaux tracés.
Dans ce cosmos biologique, mon sang rêve
le long d’étroits couloirs surpeuplés, et se précipite
vers des portes qui s’ouvrent sur le vide,
et ma pensée est bleue comme mes veines, rouge comme mon sang,
et au-delà, noire de silence : à tout instant mon rêve peut ainsi basculer
dans un autre, et ma vie ne cesse de s’éteindre et de se rallumer.
Il y a en moi des pensées qui ne se sont jamais rencontrées,
et d’autres qui fusent dans l’ombre,
révélant fugacement des régions ignorées de l’espace,
des pensées qui s’effacent avant d’être formulées,
des pensées comme des comètes, trop fulgurantes
pour laisser un sillage, si ce n’est
cet amer regret de n’avoir pu saisir l’instant,
cette sidération amoureuse dans l’espace ébloui
d’une rencontre qui n’a pas eu lieu :
Et c’est pourquoi il faut que je l’écrive,
ce presque rien qui me reste de ce que je n’ai pu qu’oublier,
pour que ce presque rien
regarde en moi et me reconnaisse,
comme un mot prononcé
embrasserait la phrase qui n’a pas été dite,
pour que ce presque rien qui dépasse son objet
regarde en moi et me sonde,
car il y a en moi des pensées qui ne peuvent se toucher,
ou peut-être, qu’est-ce-que j’en sais,
des personnes qui s’ignorent, et aussi des silences
plus pénétrés de sens que la parole :
Comme si l’ombre des choses en disait plus sur les choses
que leurs propres contours,
comme si le mouvement du vent donnait la vie aux feuilles,
l’écriture dessine autour de l’inconnu
d’imprévisibles festons ;
peut-être seulement, après tout,
pour qu’après tout cela, enfin,
je puisse goûter sans réserves ce noir absolu du silence
et me vider de tout mon sens
Calique Dartiguelongue