La
page
blanche

La revue n° 56 poète de service

poète de service

Jean-Michel Maubert

Auteur de romans, nouvelles, novellas, poèmes, son roman Idiome a été publié par Maurice Nadeau en 2012 puis, chez le même éditeur, Limbes (suivi de) Ronces, en 2016. Des nouvelles et poèmes ont paru en revues (Triages, Souffles, Hopala, Empreintes, L’ampoule). Le recueil de poèmes Les cérémonies fanées a obtenu le Grand Prix de Poésie Joseph Delteil 2017 (attribué par la revue Souffles/Les écrivains Méditerranéens).

 

SOLIDITÉ DES LUMIÈRES - (extraits)

 

un cône granitique que rase une rumeur de soleil . des abeilles vibrant bas . soyeuses dans le coton jaunâtre-terreux . tournesols .

s’écarte le fruit . pulpe rougie d’une femme . bave sa teinte au bord . saigne un peu . halète .

d’un ravin bref cette fleur rapprochée . méandres des hanches . bouche fermée . béate . un bras de terre . cire de l’os à l’ombre cassée .

je suis agneau . fragments . encore les mains violentes . porcelaine brisée . dans la terre meuble des autres voix .

 

dans l’argile sans lumière

les funérailles froides des soldats

la montagne éteint ses feux

un troupeau s’évapore dans le lointain

 

 

chenu pantin de terre noire étoile de pluie l’agneau blessé une bouteille de sang le frère mâchant les ronces d’anciens chemins d’hiver où tombent dures les ombres des îles épines cassées visage décomposé du hérisson tête et cils du veau doux volcan l’oeil brassant le calme brut des roseaux murs à la lisière des peupliers grand vent les feux roses en vols noirs cruches tuiles cèdres apparitions des épis papillon-momie le soir brûlant les laines sombres freux dans les pins sous le roc chant des profondeurs liquides le baleineau dans sa boîte d’ombre sang de fer songe rouge sur les champs marins petits rats aux yeux de terre froides cierges grillages chiens têtant les rêves cerveaux sel noir aux lèvres

 

poussière d’une voix cuite

comme venue de l’âge des feux et des fenouils truies humant le coeur vieilli des roses

jeunes carottes sous les nuages désossés vieilles rates goûtant des endives

les têtes de pissenlit des pères

 

 

naître en tremblant

la lueur grise du bois l’abreuvoir

l’eau boueuse le visage floral d’un cochon matin chargé de peur

nuages effacés par le feu

poudres de fleurs

gravées d’étoiles troubles

 

 

étoile sale ce qui te brise encore un parquet d’os où fane la poussière fenêtre nue briques et fumées filtrant la douleur brûlante des bêtes scarabées aux lignes fauves étreinte rapide sur ta main baiser glabre de museaux meurtris cendre d’une pensée

 

pluie sourde

du matin.

la truie grise

fouillant

dans l’herbe trop jeune.

 

 

bêtes douces. poitrails offerts aux lampes. feu tendre que brûle la poussière. les cages à truies. l’homme trépané comptant ses pas.
une pomme pourrie. soleil pris dans les ronces. miel funèbre de l’âne

 

l’odeur froide des résédas. tout bas tombe le souffle. sa belle tête fanée. emmuré dans son cercueil de neige l’âne placide et doux rumine les cendres. on éteignit la lampe. un sein de bois fut scié. des larmes pour la nuit.

 

des grenouilles sautaient dans le lac d’or rouge.

la soeur dort à présent dans l’obscurité du sang. un bras sous la neige. l’estomac anthracite d’un brave cochon avale la nuit.

 

le désarroi du vieux cheval. face aux hauts murs de l’abattoir. l’ampoule grillée. cette ronce qui délire.

 

cette peau d’écorce chenue l’éléphant sénile les vers aiment son vagissement

 

sophie –– le nom secret murissant son spectre

la fleur animale, son labyrinthe

 

 

un fragment de ton visage au hasard

d’un arbre mort

 

 

le miroir étranglé

de ta mémoire –– une

greffe de lumière noire –– la terre boueuse où tu marchais ––

 

 

un creux de temps ceux que l’on ménage dans la terre –– tendre la main –– un peu de chaleur vierge

consumer le vide –– ce froid que tu sens grandir sous le sternum

le vent de tempête –– des journaux froissés s’envolant dans

les rues –– façons d’oiseaux absurdes –– les routes jonchées d’écorces, feuilles, branches –– l’agonie d’un insecte au creux de ta main ––

 

un chien mange une vieille rose –– souvent, tu scrutais ta silhouette

dans le miroir noirci des eaux ––

 

une anguille ensanglantée dans une baignoire –– une poupée de chiffons se noyant dans une mare –– feu de bivouac –– l’odeur
d’un alcool blanc

 

tu tenais dans tes mains un petit animal –– un feu doux ––

ses os délicats roulant sous le pelage –– le souvenir de leurs cendres –– bientôt la nuit

Jean-Michel Maubert