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La revue n° 57 Notes de...

Notes de...

Jérôme Fortin

Notes sur Olivier Messiaen

Comme tout a déjà été dit sur lui, et tout le reste, il convient d’en dire encore plus. Le but étant bien sûr de faire rager l’académicien et d’ajouter une couche de confusion dans la tête de l’honnête néophyte (ignorons pour l’instant ceux qui considèrent encore comme une imposture la musique atonale ; il faudrait alors, comme l’a si brillamment démontré l’intéressé, mettre les oiseaux en prison pour nuisance sonore). Notons de cette parenthèse frivole que nous les mettons déjà en cage, les oiseaux, sans pour autant les faire taire complètement. Nous aimons au mieux leurs pépiements lorsque convenablement circonscrits dans l’espace et le temps. Comme toujours, l’objet réduit à sa fonction décorative ; comme toujours, mauvaises herbes fauchées et ciels prédits.

Ce transbordement de nos champs auditifs, qui aboutira au bruit blanc, en passant par le rose, commence, étonnamment, par le chant de l’alouette lulu et le gazouillis du traquet rieur. De quoi décourager plusieurs amateurs de harsh noise! Le bruit n’est que silence bouleversé, lorsque saturé. Que d’aucuns en apprécient l’agression (j’en suis) demeure un mystère probablement de nature synesthétique.

Avec sa tête de curé, et certains titres qui rebuteraient jusqu’aux moins athéistes d’entre nous [VINGT REGARDS SUR L’ENFANT JÉSUS - LA NATIVITÉ DU SEIGNEUR - TROIS PETITES LITURGIES DE LA PRESENCE DIVINE - VISIONS DE L’AMEN], Messiaen n’attire pas à priori l’amateur de déconstruction. D’autres titres, aux évocations vaguement païennes, voire sensuelles, semblent faire corps avec sa musique [ÎLE DE FEU - FÊTE DES BELLES EAUX - DES CANYONS AUX ÉTOILES - QUATUOR POUR LA FIN DES TEMPS - LES CORPS GLORIEUX - APPEL INTERSTELLAIRE - ÉCLAIRS SUR L’AU-DELÀ]. Et, bien sûr, il ne faudrait pas oublier ses lubies ornithologiques pleines de tendresse et d’humilité [RÉVEIL DES OISEAUX - LE MERLE NOIR - CATALOGUE D’OISEAUX - OISEAUX EXOTIQUES]. C’est comme si un plasticien d’avant-garde collectionnait les timbres, en cachette, en buvant du chocolat chaud.

Ses quatre études de rythme, et surtout Mode de valeurs et d’intensités, ont grandement consolidé le socle rocheux sur lequel repose depuis près d’un siècle la musique contemporaine (si les fact-checkers me permettent une aussi docte affirmation). Boulez, Stockhausen et tant d’autres y ont puisé leurs conditions initiales, prémisses aux multiples développements, échappées, dérives et hérésies dont nous nous régalons encore aujourd’hui. Restons-en là sur l’axe du temps ; je ne cite que ceux validés par l’histoire. D’autres le seront demain.

Et si cette musique, qui un jour sera complètement oubliée, je le crains, car aux antipodes de la facilité et du mercantilisme ; et si cette musique, tellement non-essentielle, réclamant tellement de solitude, était un des traitements prophylactiques bientôt prescrits de la maladie humaine ?