Notes de...
Matthieu Lorin
Souvenirs de lecture
En passant devant la gare, j’ai aperçu un carton qui séchait au soleil. Etendu sur une corde à linge de fortune, on (mais qui peut bien être ce « on » ?) espérait sans doute que l’humidité dont il était imprégné s’estomperait, oubliant que le fil déchire ses entrailles comme une césure scinde la phrase en deux, d’un côté Caïn - et de l’autre Abel.
Certes, le carton deviendra plus présentable mais il se déchirera quand même au moindre vent, découvrant par là-même ce qu’il voulait cacher. La corde. Elle, continuera à défier les vents et les humeurs joyeuses.
Ma mémoire est semblable à ce carton. J’ai vécu trop longtemps voûté sur moi-même pour qu’il n’en reste pas une odeur rance. Que trouvera-t-on sous cette peau de papier-mâché lorsqu’elle se déchirera ?
J’aimerais que ce soit un arc-en-ciel
Un souvenir vaporeux de verre d’alcool
Un lambeau de côte normande
Ou un pavillon doré.
Je crains qu’il ne reste ni ébriété, ni falaise crayeuse, ni mot de Mishima…
L’extrait
«J’ai dit plus haut à quel point je manquais de sollicitude humaine. Ni la mort de père ni la gêne de ma mère n’affectaient sérieusement ma vie intérieure. Je rêvais d’une formidable presse, porteuse de désastres, d’effroyables cataclysmes, de tragédies sans rapport avec l’échelle humaine, et qui, des hauteurs du ciel, nivellerait dans un écrasement universel objets et créatures, sans souci de leur beauté ou de leur laideur. Parfois, l’éclat insolite du ciel printanier m’évoquait le reflet froid d’un énorme fer de hache capable de recouvrir la terre. J’attendais qu’il s’abattît - dans un éclair si prompt qu’on n’aurait même pas le temps de penser.»
Mishima, Le pavillon d’or, Folio (traduction de Marc Mécréant)
La suite des « Souvenirs de lecture » de Matthieu Lorin est à découvrir dans les futurs numéros de La Page Blanche.