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blanche

La revue n° 57 poètes du monde

poètes du monde

Un extrait d’un poème pour présenter Sylvia Plath, poète américaine - 1932/1963

TOTEM (extrait)

Le moteur va tuer le rail, le rail est d’argent

Et s’étire jusqu’à l’horizon. Il sera dévoré de toute façon.

 

Sa course est vaine.

Au crépuscule il y a la beauté des champs noyés,

 

Et l’aube habille d’or les fermiers comme les cochons.

Ils tanguent doucement dans leurs costumes solides,

 

Les tours blanches de Smithfield devant eux,

L’esprit rempli de croupes grasses et de sang.

Sylvia Plath
Ariel - Traduction de Valerie Rouzeau
Poésie/Gallimard

 

Selon Lao Tseu,
texte dédié par Patrice Parthenay et Pierre Lamarque à Franck Turquetil

Lorsque le sage entend la voie, il l’embrasse avec zèle.

Lorsque l’homme ordinaire entend la voie, il en prend et il en laisse.

Lorsque l’imbécile entend la voie, il rit.

Mais s’il ne riait pas, la voie ne serait pas la voie.

Lao Tseu

 

Strophe extraite d’un poème de D.H. Lawrence (1885-1930) intitulé
Ballade d’une nouvelle Ophélie.

J’ai eu jadis un amoureux clair comme eau courante,

Son visage jadis était ouvert comme le ciel,

Ouvert comme le ciel penché tout en rires

Sur les boutons d’or, j’étais les boutons d’or.

D.H. Lawrence
Traduction J. J. Mayoux
Éditions Aubier Montaigne

 

LA FUMÉE

La fumée cherche, quand ça lui monte au nez, à s’échapper par en haut en vertu de sa légèreté, trouve aussi bien des interstices, trous et ventilateurs tout prêts à la convoyer. Dehors pourtant, dehors c’est la nuit noire, le froid. Alors la fumée regrette sa légèreté, se hérisse contre sa constitution, mais impossible de faire machine arrière, les ventilateurs sont à sens unique. Trop tard. La voici environnée de lois physiques. La fumée ne sait pas ce qui lui arrive, elle se prend la tête et celle-ci n’est plus là, elle veut penser et n’y arrive pas. Le vent, le froid, la nuit la tiennent, et jamais plus on ne la reverra.

Alfred Döblin
Extrait de Berlin Alexanderplatz – Ed. Folio

 

Le poème Psaume III est extrait de Howl and other poems d’Allen Ginsberg. C’est dans ce même recueil que se trouve un long texte enthousiasmant d’Allan Ginsberg, America, un des plus beaux de la littérature américaine.

PSAUME III

A Dieu : pour illuminer tous les hommes. Commençant par Skid Road.

Que l’Occidental et Washington soient transformés en un plus haut lieu, la plaza de l’éternité.

Illuminez les soudeurs dans les chantiers navals du brillant de leurs torches.

Que le conducteur de grue lève ses bras de joie.

Que les ascenseurs grincent et parlent, ascendant et descendant dans le respect.

Que la miséricorde du chemin de la fleur fasse signe à l’œil.

Que la fleur droite annonce son but dans la droiture – chercher la lumière.

Que la fleur tordue annonce son but dans la difformité – chercher la lumière.

Que la difformité et la droiture annoncent la lumière.

Que Puget Sound soit un éclat de lumière.

Je me nourris de votre Nom comme un cafard d’une miette – ce cafard est sacré.

Seattle 1956

Allen Ginsberg
Howl – Traduction de l’américain par Robert Cordier
et Jean-Jacques Lebel – Christian Bourgeois éditeur

 

« Une mésange s’est posée sur mon orteil nu, si légère que je n’y ai pas cru »
Un poème écrit dans ses dernières années, on ressent une mélancolie qui ne se retient plus. Chose assez rare chez Jim Harrison.

à sept ans dans les bois

Suis-je aussi vieux que je le suis?

Peut-être pas. Le temps est un mystère

qui peut nous renverser les quatre fers en l’air.

Hier, j’avais sept ans dans les bois,

un bandage sur l’oeil aveugle,

un sac de couchage fabriqué par ma mère

pour que je puisse dormir en forêt

loin des gens. Une couleuvre a glissé

sans me remarquer. Une mésange

s’est posée sur mon orteil nu, si légère

que je n’y ai pas cru. La nuit

avait été longue, la cime des arbres

piquetée d’un millier d’étoiles. Qui

étais-je, borgne sur le sol de la forêt,,

qui étais-je à sept ans? Soixante-huit ans

plus tard je peux toujours habiter le corps

de ce garçon sans penser au temps écoulé depuis.

Le fardeau de la vie, c’est d’avoir maints âges

sans voir la fin des temps.

Jim Harrison
La position du mort flottant, éditions Héros-Limite