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blanche

La revue n° 57 poètes de service

poètes de service

Julie Cayeux

Je m’appelle Julie Cayeux, je suis comédienne, clown et poète normande. Ma première pièce Moi, Sidonie, POUM a été publiée aux Editions Christophe Chomant. Plusieurs de mes poèmes sont ou vont paraître dans différentes revues ( Traction-Brabant, Arpa, Décharge, Pojar, Nouveaux Délits, Lichen...)

N’hésitez pas à visiter le site de ma compagnie et mon blog : lamariebellcompagnie.org.

 

Mauvais présage

Je fumais sur un nénuphar, la lune rousse brillait, dans la nuit, des croassements résonnaient.

Je fumais, sans me soucier des crapauds.

Il n’y avait pas un souffle de vent et mes cheveux collaient.

J’agrippais mon amour naissant et je le cajolais, seule au milieu des marées.

Je cajolais cet amour lisse et rempli de promesses, comme un don de la vie.

Je savais que bientôt, mon estomac se laisserait apprivoiser.

L’habitude apaiserait les spasmes de joie et peu à peu, mon exaltation s’étoufferait.

Mon amour n’y ferait pas exception.

Un jour, il serait parsemé de taches.

Il me faudrait choisir : le renoncement, me détourner de lui ou veiller sur la flamme toute une vie.

Je n’eus guère le temps d’y réfléchir, un moustique me piqua.

Je tombais dans les eaux croupies, il ne resta plus qu’un mégot de moi.

 

 

 

Les silences qui habitent nos plumes

C’est comme un fourmillement au bout des doigts, quelques mots, des chuchotements, me soufflent.

D’une page à l’autre, le cœur palpite et voilà que j’écris mon invisible.

 

Je tisse mes racines et je tisse mes ronces, je traque les mystères des vieilles photographies, je brode des souvenirs qui ne m’appartiennent pas.

Mes mains tremblent, je mâche mes rancunes, gratte mes convoitises.

Et j’abandonne mon livre-impasse, mon livre-trace.

 

Nos tombes sont farouches.

Le temps venu, je fermerai les yeux.

Au-delà des collines, je deviendrai fougère.

Cela me satisfait, je n’ai plus de colère.

 

 

 

Une prophétie

Les plumes des moineaux prédisent les beaux jours.

Il suffit d’en ramasser une et de la mâcher, lentement.

 

Une fois la plume au fond du ventre il arrive qu’un oiseau décide d’y pousser.

Et l’avenir se courbe…

Tu peux enfin le trifouiller, le tordre et le secouer.

 

Il n’existe pas de chemins tracés, juste des routes molles, comme des lacets.

 

 

 

La nuit des chauves-souris

La nuit des chauve-souris, j’entends mon père qui chante.

Je me lève, sans précipitation.

Je renifle, son odeur flotte et je la reconnais.

Je descends les marches, une à une et dans le fauteuil, de nouveau il est là, avec sa guitare sèche.

Son corps ne me semble plus froid.

C’est mon père, il se tient là.

Ses yeux sont rouges, il m’aperçoit, il rit.

Il recommence à jouer.

Au plafond, des dizaines de chauve-souris se suspendent.

Elles gigotent, au rythme des accords et tous ensemble, nous nous mettons à chanter des rengaines de hippie.

 

 

 

Broutilles

Il serrait dans le creux de sa main les miettes de sa vie.

La mort le regardait.

Elle approchait, à pas de loups.

Dans un instant, elle se blottirait contre lui et sans un bruit, elle le mangerait.

Il serrait dans le creux de sa main les miettes de sa vie.

Il y avait eu des joies, des instants tourmentés, de grands désirs, et cela seul comptait.

Les regrets qui vieillissent deviennent plus légers.

Il serrait dans le creux de sa main les miettes de sa vie.

Ses rides le grattaient, mais il n’était pas triste.

Il attendait ce moment depuis longtemps.

Qu’elles se dispersent dans le vent.

Julie Cayeux