La
page
blanche

La revue n° 57 poètes de service

poètes de service

Tom Saja

Trente balais, vis en Haute-Savoie. amateur de fromages et de monts escarpés. le goût du rien foutre. le vin argentin et le kung-fu. Nick Cave dans les écoutilles. Bukowski dans le ragoût.
J’écris chaque jour comme je nourris le chat. je n’ai pas de chat. j’écris la nuit.

 

vanité

aujourd’hui il n’y aura que de la prose : je m’évertue à tuer mes vers.

 

un beau ô en mathématiques

dieu que la colonne fait souffrir. celle vertébrale. et je dis dieu mais ne crois en aucun, je ne mange pas de ce pain-là, j’aurais pu dire dame nature. je ne mange pas de pain non plus, j’étais gros et oisif et gros et je ne passais plus dans le cirque des montagnes. j’ai dû dégrossir tout cela avec de l’aller-retour sous les aigles, dans le pic et ça grimpait ça oui, ça oui géométriquement parlant c’était une pente un bel angle loin du plancher des vaches. je dis géométriquement mais mes professeurs me brûleraient la langue s’ils savaient que je bafoue leur savoir et piétine le peu de lumière qu’ils ont cherché à camisoler en moi. ils reverraient tous à la baisse leurs corrections de moi, leurs bilans adressés au recteur, du rouge du rouge du rouge sang sur la copie. tous sauf peut-être Mr C qui m’a diffusé la poésie en sachet de thé dans l’eau inachevée de mon adolescence et j’ai encore des vers de maître en cochon pendu jusqu’à l’os, et peut-être qu’il est déjà mort jusqu’à l’os ce brave homme aussi.

entre temps la colonne a commencé à faire des siennes. celle vertébrale. c’est ma faute je l’ai malmenée j’ai voulu épouser le contour de la terre mais elle est plate et je suis courbe. revoilà que je bafouille de la géométrie. ils vont venir me chercher, mathématiquement, et me le faire payer d’équerre.

j’étais gamin sage, bouille timide, un môme tranquille mais qui cultivait la grignote et la tracasse comme si ça pouvait un jour donner des fruits d’or alors que non que nenni, de la branche morte voilà où terminent nos problèmes nos équations et le proviseur adjoint était monté sur ses grands poneys pour cracher un peu de son autorité sur moi, vous savez, ces chiens qui aboient toute la journée derrière le grillage et qui détalent au combat de ruelle, il m’avait passé un savon, au sens figuré ô géométrie, tandis que j’essayais de le passer, au sens littéral ô poésie, sur mon beau sweatshirt nike blanc qui avait mangé malgré lui une bonne rasade de ketchup devant un parterre de copains hilares et des moqueries de réfectoire que j’ai gardées propres sur le disque sans une rayure sinon ce serait trop facile.

ma mémoire c’est une bonne amie de ma colonne elle me joue des tours. la honte elle l’a estampillée trésor et elle a des serveurs de refroidissement rien que pour cette garce. et j’étais balèze il fallait m’avoir en photo plutôt qu’à table et les jours de frites les cantinières soupiraient à ma vue et allaient chercher un nouveau bac. pas de rab de mon vivant j’étais un crabe de staline dans la mer collégiale. de la sauce tomate sucrée américaine en embarras sur mes fringues pour le reste de la journée reste du bahut sur les rétines.

la montagne aime rarement faire charité. je l’ai payé. avec du sel et de la graisse. avec des résidus d’années. tandis que je suais sang et eau elle a fait remonter des monstres de quadrilatères. tout part de ce tracé vertébral. la maison de ma mère, les nuages de mon père. une grande colonne je vous dis, toute de douleur vêtue. des guirlandes d’opprobres à vif sur le feu de mes nerfs.

j’y monte en catharsis, j’y descends en liposuce, délesté des cailloux dans les chaussures de ma mémoire, mais bardé de petites agonies, agencées en rang d’oignons au creux des disques de mon échine.

ô géométrie,

ô poésie,

on n’a pas idée de regarder en arrière, croyez-moi je recommencerai.

 

cette vie aura ma peau

il y a le soleil. soleil soleil. celui-là aussi voudrait ma peau. mon lard ma couenne le maintien de ma posture et mon ombre en odeur de sainteté. brille là-haut, étoile minable de banlieue de galaxie s’éteindra idiote dans cinq milliards et des poussières d’années. nous aussi éteints. dinosaures éteints. mégots éteints. éclairage public privatisé. mon amour pour toi : embouteillé pour l’éternité. je le jure, d’un crachat, à la poire de la boule de gaz. ce vieux sorbet jaune veut que je me ratatine, me manger sauce caniculaire. il laisse du rouge sous mes paupières et son parfum sur mes avant-bras.

terrible c’est terrible, ce grand feu là-haut.

ils en ont fait un dieu au début, je dis ils pour ne pas dire nous, je pourrais nous mettre tous dans le même sac, tous dans le même sac oui et aller nous noyer à la rivière comme la portée de chatons de trop.

 

vanité II

les vaches mangent l’herbe pondent des bouses les mouches mangent les bouses pondent des œufs sortent des vers les poules mangent les vers pondent des œufs les hommes mangent les poules mangent les œufs pondent des vers pondent des poèmes pondent des bouses aussi.

les vers mangent les hommes.

Tom Saja