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La revue n° 54 La nouvelle éducation sentimentale

La nouvelle éducation sentimentale

IV

La salle du théâtre était chaque fois pleine, au moins d’après les rapports des quelques voisins. Ce qui reste vif dans sa mémoire ce sont les dires de ceux-là concernant le comportement des „bandits” pendant le procès. Quelques uns, cyniques, ne vivaient pas du tout le dramatisme du moment, restant insouciants et avec une attitude provocante, essayant même de converser avec le public. „Je viendrai à toi et je vais te tuer” - avait dit l’un d’eux à un spectateur… Il n’avait pas retenu les condamnations. A ce moment là on donnait la peine capitale. C’est le spectacle en soi, le déroulement des évènements qui avait priorité, pas les décisions de la justice…

Dans sa mémoire, aussi, le déclic de quelques figures du mensonge, de la tromperie. Peu de temps après être entré dans la première classe. Il ne se souvient d’aucun de ses collègues. Dans une classe parallèle ils avait une institutrice âgée qui employait encore la méthode du… „moniteur”. Il n’a plus jamais rencontré depuis lors quelque chose de semblable. C’était, sans doute, une méthode obsolète, qui tenait des années d’entre les deux guerres mondiales, ou depuis dieu sait quand. En deux mots, de quoi s’agissait-il ? L’institutrice se hissait dans la posture d’autorité suprême et régnait immobile à sa table. Pendant ce temps le moniteur faisait des courses dans la salle, parmi les bancs et... surveillait les uns et les autres. Je ne sais s’il n’avait pas aussi une cravache ou un autre instrument de ce genre, mais il se comportait comme s’il en avait une. Il n’avait assisté qu’une heure dans une telle classe, une classe parallèle à la sienne, avec le moniteur en action. Celui-là se pavanait parmi les autres en appliquant des corrections. Peut être qu’il appliquait des gifles aussi... Il a retenu l’attitude du moniteur. Très sûr de lui, vaniteux, avec une gueule enfarinée. Il n’avait montré aucune attention à sa collègue, mais on a dialogué quelques fois, à contre coeur, en rentrant de l’école. La famille du moniteur habitait un maison placée sur le trajet de l’école. Il m’arrivait de croiser dans la rue le moniteur et on avait commencé à échanger quelques mots. Une fois le moniteur m’avait invité dans sa maison où il détenait un appareil tv pour voir les programmes transmis depuis la capitale. Mais, même à cet âge je connaissais très bien la situation avec les postes de télévision et pour le moment, dans ce bout du monde la transmission n’était pas possible. L’autre insistait : s’il voulait il pouvait lui montrer l’appareil. Il l’a conduit dans un appartement très ordinaire, dans une chambre, et lui a montré un appareil de radio - c’était pas un problème de le reconnaître tout de suite. Et où tu vois les images? Là, il a répondu, sûr de lui et vaniteux le moniteur, en montrant l’échelle lumineuse du récepteur radio… Je savais très bien ce qu’il pouvait voir là-dedans…, le mensonge était très grossier. Je ne lui ai rien dit, j’ai tourné les talons et je suis parti. Sur cette scène s’est bâtie ensuite l’image du profiteur éhonté...

*

LE SANG DES MORTS
Essai (publié dans la revue…. le numéro….)

On essaie d’extraire de faits vécus quelques idées, quelques conclusions rationnelles et comme ça on déclenche le tourbillon. Tandis que les idées deviennent plus claires, s’articulent, la réalité devient plus inconsistante. Si on n’insiste pas sur le sens abstrait, la conception reste vague, confuse et la réalité se désigne mieux. Pour le penseur sont importantes les idées, les raisonnements… Dans le discours du philosophe le monde matériel disparaît. L’historien, le journaliste, le reporter etc. communiquent leur propension pour le réel. L’écrivain, l’auteur de „fiction” se manifeste dans une dimension extrêmement large et il atteint tantôt les idées, tantôt la pure réalité. Il passe de l’abstraction à la matérialité. En cherchant à extraire de l’amalgame des souvenirs quelques idées sur la réalité d’autrefois j’avais déclenché des rafales du passé, des franges disparates de mémoire - des incidents, images, un mélange kaléidoscopique. La confusion, la vie vécue, la nostalgie, donnent des séquences sans aucune hiérarchie - significatives et insignifiantes dans le même flux…

Dans le premier plan le mouvement, le kaléidoscope, mes fragments du passé sont inscrits dans trois plans géologiques du communisme roumain. Il faut dire qu’entre histoire et histoire personnelle se trouvent des incompatibilités insurmontables. Le communisme stalinien (brutal, goulags, des prisons, des exécutions… choses apprises tard, dans les livres, dans des confessions, des documents) s’est consumé dans le temps d’une seule saison personnelle quand on souffre de candeur – l’enfance. (Ralea, avec sa précision dans Le phénomène roumain, soutient que le trait dominant des roumains est leur caractère transactionnel -  Il dit encore que nous n’avons pas les traits qui peuvent empêcher ce caractère transactionnel. Il nous manque donc entre autres la candeur. Si on est plein de candeur on ne peut pas faire des transactions…) Et à cet âge on ne peut être que pleins de candeur. Une candeur torture. Le sentiment avec lequel on remplit, à 5, 6 ans, les quelques cents mètres jusqu’au magasin mixt d, où on achetait le pain. Les premières années dans la décennie cinquante, dans la banlieue de la ville. Une route en terre. De la poussière. Du soleil. Pendant les jours de fête on s’en allait en groupe à la Maison du Pionnier - même si on n’était pas à cette date des pionniers. Autre monde, au centre ville : des rues pavées, des gens préoccupés. Dans la place centrale la tour construite au temps d’Etienne le Grand. Entre nous quelqu’un parle d’un conte pour les enfants… Des choses sur le monde de l’au-delà - de rares épisodes vécus à la marge de la ville avoisinant la forêt. Une longue rue qui coule autour de l’église du cimetière jusqu’à la tour d’Etienne le Grand, avec le plus important lycée de la ville. La société officielle n’avait rien de commun avec notre monde d’enfants qui végètent à la périphérie. Nous ne savions rien de ce monde, de son importance, de la place où elle était située. Nous n’avions rien en commun avec ce monde-là. C’était un monde qui n’existait pas pour nous: c’était le motif pour lequel, quand nous arrivions , très rarement, là, en dépassant nos limites de chaque jour, notre attention devenait très vive, depuis le moment du dépassement de l’allée des châtaigniers. Quelque part à droite on pouvait voir l’école élémentaire où ma mère à été enseignante et où j’avais commencé la première classe. Plus proche de notre maison, sur l’aile gauche, on trouvait le jardin d’enfants, avec „ programme réduit”. La mère, qui était à la recherche d’un emploi à été éducatrice là aussi.

Chaque jour on faisait la course pour acheter le pain. De la candeur à cette âge? La dureté avec laquelle je tenais dans la main les bons de nourriture. Ce que peut être un poing d’homme je l’ai appris à la boxe, mais de la main du garçon de 5 ou 6 ans je pense le contraire. Dans les premiers années du nouveau pouvoir communiste on ne pouvait rien acheter sans des tickets. On paye avec de l’argent, mais il faudrait avoir des tickets pour pouvoir acheter. Ces tickets étaient de mesquins rectangles de papier imprimé avec des couleurs différentes - jeunes, marrons, verts… Des petits morceaux de papier imprimés - mais nous ne savions pas encore lire encore ce qui était imprimé là… D’après les couleurs les tickets avait des valeur différentes. Ces humbles bouts de papier était précieux - sans eux on ne pouvait pas acheter grand chose. Ils étaient présents dans des feuilles plus larges et on découpait ticket après ticket… Chacun avec ses tickets mensuels. d’après sa place de travail - l’emploi, le nombre des enfants. Souvent découpés en hâte, avec des contours irréguliers.

On faisait des files d’attente pour le pain. Les enfants marquent leur place dans la file et jouent devant le magasin. Les gens du quartier attendent paisiblement autour de la route. La voiture avec du pain arrivait, les vendeurs s’agitaient, prenaient la marchandise, vendent. Sur le compteur on avait aussi des boucles de salam et des casiers avec de la marmelade emballée dans du papier ciré. Une fois un morceau de salam a bougé. Un des vendeurs s’est arrêté et à fixé le morceau de salam. Il a dit quelque chose et le monde à commencé à rire. Je prends le pain noir avec une grosse croûte et je m’en vais à la maison. Sur la route je mangeais la croûte qui était au fond du pain, celle qui avait pris contact avec le four. Je trouvais qu’elle avait un goût meilleur que la croûte brillante de dessus. Mon père m’a regardé étonné après avoir constaté que mon frère et moi avions mangé déjà une grande partie de la croûte: au moins si vous aviez mangé la croûte meilleure, d’au-dessus du pain… Dans la route vers la maison on croisait la tour/porte du cimetière. Quelques fois les clochent battent. Aux enterrements, on peut penser. Ou aux services tenus dans l’église. Une fois ou deux fois la grand mère nous à amenés au service divin de l’église. Impressionné par le décor fait pour impressionner. Pas convaincu.

Le cimetière à la marge de la ville - nous habitons dans une maison à louer au delà du cimetière. Pour arriver à la porte on traversait un pont en bois. Auprès de la tour/porte de mineurs voyous jouent au football. Quelques fois nous nous sommes mélangés à eux. Des partenaires apparus on ne sait d’où, du néant. Les mauvais garçons jouent toujours au foot… Une fois j’avais laissé à côté d’un tas de vêtements qui marquent les buts le violon avec lequel il fallait aller prendre un cours de musique. Le projet avec la musique à échoué. Au milieu des petits voyous nous avons commencé à apprendre à nous débrouiller dans la société. Dans notre société. Le violon à été conservé dans la famille, passant d’un frère à un autre. Mais aucun n’a pas appris à jouer au violon…

///Pause dans la reproduction de l’essai///

Peut-être qu’il fallait insister avec cette histoire des pères. Un épisode d’enfance et d’adolescence, un manque, une nostalgie de ce qui pouvait être mais n’a pas été, un vide dans une certaine partie de la vie, oubli, plus ou moins, plus tard, quand d’autres éléments viennent pour couvrir les couches antérieures du vivant, comme les couches de magma drainées du volcan sur les couches anciennes du même … L’image peut être plausible, au moins pour certains cas d’insertion dans l’âge adulte, ce qui a été et ce qui a été ajouté ultérieurement… Mais c’est pas ça, toute cette image est fausse, la structure de la personnalité ne peut pas être représentée par de telles superpositions mécaniques. Rien de ce qui a manqué autrefois, surtout à un certain âge, ne peut être compensé plus tard, le vide reste là, il s’agrandit et se consolide… Peut-être le désir profond de la connaissance des origines - chacun de nous avons, chacun nous construisons dans un certain sens, chacun nous avons le plaisir de savoir d’où nous sommes venus, ou nous allons - même si ces représentations de nous sont souvent erronées, des illusions, des fantasmes, des désirs subliminaux… Ce qui évolue part d’un squelette initialement fragile et accidentel, les hommes évoluent, ils commencent à ressembler de plus en plus les uns aux autres, mais dans l’intérieur chacun conserve cette structure fragile, imprécise, un sorte de squelette fait d’un très faible fil, si différente d’un individu à un autre qu’entre eux on ne peut plus trouver la ressemblance de surface, uniformisée par l’usage social. Mais pour parler des ressemblances je peux t’offrir quelques détails qu’ont en commun ceux qui ont vécu sans père. Le manque de protection à un âge où on a grand besoin de ça. La manque d’un modèle, si pas un modèle idéal au moins le plus raffermi, de quelqu’un qui a atteint un certain âge, qui a une certaine signification sociale. Ceux sans père sont comme toujours abattus par le sort, sont toujours contents avec ce qu’ils ont, ils sont, diraient-ils, contents d’exister… Ils regardent la terre, pas les révoltes, pas les points de vue propres, ils donnent tout le temps l’impression qu’il faut remercier. Ils sont soit insolents et téméraires au delà de la raison, ou, plus souvent, dociles, humbles, sans propre position parce qu’ils n’ont pas eu l’exemple, en leur temps, même contre leur volonté, de voir comment on peut avoir une attitude, comment quelqu’un peut avoir un point de vue et comment on peut l’exprimer sans hésitation…

Constantin Pricop

Extrait de NOUA EDUCAȚIA SENTIMENTALĂ - Editura ALFA
Traduction par l’auteur