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blanche

La revue n° 54 Séquences

Séquences

Bertrand Naivin

Poèmes coronaviraux

Faire un feu / contre l’épidémie / faire un trou dans la terre / l’ennui / salir le miroir/ par le beurre le gras/ nos empreintes utérines.

Nous vivons sans contact / reclus dans nos infinis / le cœur / le sexe / et l’esprit échangés / contre une technologie tranquille / safe / certifiée./ Pourtant sommeille sous nos calculs / un nouveau risque qui contamine / et s’embrasser devient / plus dangereux que jamais. / Alors on prépare pour demain / notre exil ultime / la liberté de n’être/ plus qu’une idée /sans le poison du monde.

Retrouver l’état sauvage / ouvrir la porte / des vers / titiller le cerbère / déchaîner le papillon./ Redonner une chance à l’évolution / tous chenilles / tous cloportes / et jeter l’Amérique / par la fenêtre par l’écran / de nos joies débridées.

De l’autre sa joue / de cette main qui se tend / de l’air / la salive / cette poignée où pullulent / les miasmes la mort lente / du monde / du manque / de la fin de l’inutile / de la mort / la faille / cette peau pleine d’invisibles / de l’enfant / du voisin / l’ancien dont on s’éloigne./ Nous ne sommes plus que peurs / et oublions d’être hommes.

Une bombe / un virus / et tout à coup dans son caddie / vide / hagard / l’homme panique de lui-même. / Alors il s’empiffre / et commence par se gaver de / tout ce qu’il trouve dans la cité / sur Internet / à la télé / son anus inquiet qui pète / l’angoisse de ne plus chier que du vent.

Nous sommes des vivants morts / à l’amour infecté / suspecte / la tendresse / sous contrôle sanitaire / et dans les supermarchés / nous fomentons une stratégie / une guerre / contre l’invisible / afin de retarder / le retour de la vie / sauvage.

Il fait beau depuis hier / pourtant la vie se cache / recluse / scellée / la ville devient étrangère / un monde déserté / où la nonchalance nocturne / n’est plus qu’une photo abîmée./ Alors l’heure est à la bouffonnerie / aux aisselles musicales / aux anus poètes / et aux excès d’en rire / surtout.

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Nous vivons l’opulence malade / notre fin impossible / nauséeuse / trop de vie / de sperme gâché et d’ennui./ Les rayons se vident / la peur enfle / comme une bosse de nos jours / qui déforme nos nuits./ Alors l’heure est au présent / immobile et sans retour / à l’autre suspect / télé-déporté / à l’amour insulé / pauvre / vide. / Mais aujourd’hui qu’on se le dise / le Président l’a annoncé / nous ouvrons la réserve promise / l’égoïsme assumé.

La ville a retrouvé heureuse / sa paix que nous lui refusions / son silence / ses oiseaux /

et quand reviendront les monarques / de nos forêts désertées / nous les accueillerons sans y croire / mais redevables / à l’été.

Ouvrez bien les yeux / humanité inquiète / et tendez l’oreille car il arrive / le vieil ami moqué / le cousin ignoré / après des siècles de mépris / qui vient nous reparler / de prière / et de nuée.

Je lèche le sol / je lèche les fenêtres / je lèche les murs jusqu’au plafond / chaque mi / lli / mè / tre carré / une limace dans chaque œil.

Se battre pour un rectangle / de papier seule frontière / avant l’effondrement.

Après / ce sera l’inconnu / l’humanité à refaire.

Notre monde avait fait / de l’artifice son horizon / et à genou / nous nous adorions./ La vie allait être vaincue / la mort gelée par le calcul / nous étions si près de la trouver / l’équation./ Et puis un virus étranger / refit chanter les oiseaux les / matins débarrassés de nous.

Nous avons infecté / d’une fin du monde virale / le printemps / les œufs de Pâques / l’accolade imprévue./ Et privés de terrasse / assignés à residence / confinés en présent inquiet / nous les regardons nous narguer / ces anticyclones avec / leur liberté / leur puissance / comme un juste retour des choses.

Du pain sur la muraille / protéger de l’infection / l’envie de ne plus y croire / retenir /

jaloux / le dispersement de la tulipe.

Il fait beau / insolemment / comme si la nature se / moquait de notre silence.

Je reconnais ces couleurs / pas ce silence / ni ce frisson./ Je reconnais ces tulipes / leur fragilité gracieuse. / Je reconnais ces maisons / ce jardin / cette terrasse / mais pas cette inquiétude / qui a blanchi le bitume. / Je reconnais ces vélos / leurs promesses de ballades./ Je reconnais ce soleil / pas la crainte / qui le brûle.

Difficile d’écrire / quand l’habitude vous efface./ On espère alors du ciel / une fuite / un jaillissement / une claque par l’éternel.

Je finis la vaisselle

Fumer une cigarette / faire l’affront magnifique / du risque / du plaisir / et ignorer

superbe / la République saine./ Fumer fumer fumer / pour retrouver le Grand Ouest / l’enfance / libre / qui ignore qu’en Amérique / les adultes meurent du cancer.

Bertrand Naivin
Compte Instagram @ le_cabinet_de_ber
Parution de mon manuscrit de poèmes « L’évier en inox »
aux éditions Douro

www.bertrandnaivin.com