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blanche

La revue n° 59 Séquences

Séquences

Fabre-Arsène Dulac

Trois Rêves
(chopped and screwed)

.Rêve de menthe

J’ai rêvé qu’Uma Thurman m’offrait un bonbon à la menthe. Elle me l’offrit en pleurant, je le pris en hoquetant ; et je pris des deux mains ce mets minuscule, comme pour saisir un lourd plat de Byzance.

.Rêve de politesse

J’ai rêvé que Rihanna reprenait mon éducation depuis le début. Fessant mes fesses avec ardeur. Pour m’apprendre des choses essentielles dans la vie ; comme dire bonjour, merci et s’il vous plaît.

.Rêve de colle

J’ai rêvé qu’il pleuvait de la colle. Que je restais collé à une belle inconnue, très douce (nez contre nez, bouche contre bouche). Et que les méchantes personnes qui tentaient de nous séparer dans le rêve se débattaient, impuissantes, à vingt mètres de nous, collées à l’asphalte.

 

 

 

Les choses innommées

Que les choses soient, sans qu’on les nomme… Laissons les choses innommées.

Ne nommons pas amour les caresses, ne nommons pas joie nos rires, ou que ce fut un baiser, ce jour où nos lèvres se collèrent. Ne nommons pas humour nos blagues, disputes nos colères, ne nous disons ni amants ni amis, parlons la douce langue qu’est le silence. Parle sans que je n’entende, écoute sans que je n’articule, et des mots sourdront sans qu’on ne les dise, comme sortis des bords d’un abîme. Que les choses soient, sans qu’on les nomme. Laissons les choses innommées

 

 

 

Insomnie

Pas possible que je dorme, plutôt qu’entendre. Qui est ce chanteur dans la nuit ? Qui gêne sans qu’il n’agace, apaise sans qu’il n’apaise… Qui est ce garçon qu’on acclame ? Rien qui m’étonne dans ce qu’il chante, rien d’inédit ni d’étrange. Il puise dans les plus vieux des chants d’amour, dans les plus nègres des chants nègres… Rien que l’antique et le beau…

Mais, tandis que j’écoute, tout m’étonne. Tout m’étonne dans le connu. Et je souris comme un innocent, comme qui n’a jamais tué, jamais pillé, jamais pillé, jamais pendu ! Et tandis que j’écoute tout m’étonne. Ils ont pris la musique de mon cœur, si bien que je n’aime plus, ils ont pris le bonheur… Ne sais-je pas que sa voix est belle ? Ne sais-je pas qu’il excelle ? Mais comment jouirais-je comme avant ? Comment serais-je heureux ? Comment serais-je bon ? Alors qu’il n’est plus d’innocence, plus d’abandon, plus d’enfance, plus de bonheur, ils ont pris la musique de mon cœur.