La
page
blanche

La revue n° 59 simple poème

simple poème

ODESSA

Demain je retourne dans un pays en phase de rupture.
Aux dialogues incapables d’échapper au déferlement des images.
Écrivant sur tout ce qui se mobilise et bien avant de perdre la face.
Un pays somme toute déchiré, éprouvant l’isolement et qui n’a
pour seul espoir que de faire le tour du monde.
Que j’ai essayé de fuir le jour où tout a basculé. À force de trop écrire ou de n’avoir fait qu’y penser. Et parce que j’ai lu le livre de l’Intranquillité. L’œuvre qui navigue à contre-courant des rêves. Et ne se laisse toucher que si on l’aide à se multiplier.
Ce pays dur comme l’océan et tranchant les artères aux gréements. Bordé de limites pour le moins inadaptées.
Traversé d’inutiles mouvements et enclin à écarter du pied tout acte d’héroïsme.
Ce pays qui s’étonne encore de ce que faisait cet inconnu au bout de la jetée.
Ce que je ne cessais de répéter, quand tout a basculé. Dans la froideur du matin. Quand les livres ont pleuré et inondé la mémoire.
Ce pays de pluies diluviennes, de bourrasques de vent. Qui noyait les mots de colère en faisant la leçon à qui ne l’écoutait pas. Toi, qui de tes mots, a détaché une île du fond de l’horizon.
Ne dites pas que j’ébruite des mots. Ce sont les oiseaux qui proposent d’en dire plus et non la vérité.
J’entends d’ailleurs leur chant se rapprocher, en accroître la portée. Au-dessus des nuages et échappant à l’horizon.
Combien devinent la distance ? Reculent du lointain, maltraitent l’oubli et changent d’apparence. Et que dire alors de ces mots qui viennent ronger nos cœurs, crier sur nos maisons et mendier à nos portes ?
Alors, ne reviens pas. Ne reviens pas, toi, l’imposteur. Ne reviens pas corriger ta défaite. Ne reviens pas dans la douleur. Te frotter aux nuages. Accuser l’invisible. Ne reviens pas si ton visage a disparu.
Si ta jeunesse est introuvable. Quelquefois, l’horizon capitule devant la force de sa propre inanité.
Ce pays qui ne sait où aller. Ni noir, ni blanc. Qui traverse le temps en se cachant le visage. Ni vieux, ni jeune. Usé de mémoire au point de tout emprunter au langage des signes. Ce pays qui s’est constitué un royaume et ne doit sa survie qu’à l’espace infini des contraires.
Ni plus, ni moins qu’un pays tombé trop tôt hors du lit. Avec ses histoires de silence et de voix inaudibles. Un pays que j’ai aimé pour avoir gardé son calme quand tout a basculé.
Dans ce laps de temps qui va de la vie à la mer et que les vagues ont fini par soigneusement rayer de la carte.

Jean-Louis Van Durme
(Extrait d’Odyssea )