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blanche

La revue n° 58 poètes de service

poètes de service

Faustine Dix

Faustine Dix est née dans les années 1990. Après des études de philosophie, elle décide d’arrêter la philosophie. Elle travaille à Paris.

3 poèmes pas contents

L’art vs les livres de développement personnel

Toute personne paranoïaque a raison de l’être. Le monde est fait de petitesses, de sérénades cruelles et désobligeantes. Les livres de développement personnel contiennent cette vérité MAIS la maquillent en un étouffement grotesque. Oui

on se moque de vous au boulot, on dit que vous n’êtes pas drôle, que vous êtes pervers, que vous êtes une grosse une grosse feignasse, que vous suintez, que vous êtes incompétent, vulgaire, que votre tenue est déplacée, que vous n’avez aucun goût, que vous êtes un retraité alors que vous avez 45 ans, que vous êtes un cul-terreux, un gnome. Personne ne vous épargne. Les livres de développement personnel vous font croire que vous avez des qualités. Plein de qualités. Enfouies. C’est sûr, vous en avez des qualités, des qualités banales. Inutiles à la survie ou à l’amour.

On chuchote dans votre dos. On imite votre handicap. On part volontairement sans vous à la cantine.

Les livres de développement personnel ont pour consigne : Pas de suppositions.

Grave erreur... Supposez, supposez au maximum. Ne vous charmez pas d’espoirs vains. Ne vous prenez pas pour une merde. Assumez plutôt la merde irréductible qui est en vous.

Réfléchissez : Pourquoi serait-il choquant de vous mépriser pour un acte méprisable que vous avez commis ou une pensée stupide sur laquelle vous avez fanfaronné ou sur une tare de naissance qui vous rend pénible et geignard ou sur vos tendances pédantesques ou timides insupportables ou sur vos yeux myopes, votre transpiration pathologique ou votre mélancolie souterraine ou votre rire de fiotte ?

Surtout surtout, souvenez-vous. Surtout surtout, regardez-vous. Vous faites PAREIL ! (crachat sur les faibles, jalousie de comptoir, pisse sur les dignités, etc.)

Ça, les livres de développement personnel ne vous le diront jamais. Ça, c’est le travail de l’art de vous rappeler que vous êtes un minus paranoïaque qui juge des minus paranoïaques qui vous jugent.

 

 

l’addiction

Toutes sortes d’addictions existent et nous faisons le pari qu’elles sont vitales ; par « nous» entendre toute personne presque caricaturale plutôt de mauvaise foi, athée ou partisane d’un dieu méchant, à qui on essaie de faire supprimer son addiction et qui n’en a rien à foutre, qui consomme, qui consomme son vice avec une légèreté abjecte pour ceux que le vice dérange. La dépendance a une odeur, herbe, houblon ressassé, sueur acide, urine et tabac, partout tabac. Voilà ce que sentent les mauvaises gens. Les non-dépendants puent aussi bien que sans odeur. Chaque humain a une addiction plus ou moins louable. Ceux qui s’y jettent, celles qui s’y vautrent connaissent cet instant où le délire signifie le monde, où tout prend une texture qui n’était pas avant et où tout disparaît. Être tout seul et rempli de ce monde. L’addiction est le plus d’une vie incertaine, la soupape où l’on respire, seul, sans qu’on ne ressente de solitude.

C’est embrasser les souvenirs et les propulser dans une dialectique furieuse , ni réflexion ni croyance, ce n’est même qu’un semblant d’impression. On est seul. On l’est en connaissance et tout s’harmonise, les murs, les mètres, les métros, les maternités déçues, les bric-à-brac de banlieue et les sonates d’église, les monstres qui ont notre visage, tout tourne avec une douceur communicative. Lutter contre son addiction mène à la barbarie.

Quand l’individu n’accède pas à lui-même, que son ombre lui court après et le supplie « cède, cède et deviens ». Celui qui renonce à son addiction devient brutal, il n’est qu’une partie de lui-même et son but unique est le prosélytisme de cette incomplétude. S’il-vous-plaît, pour une humanité pacifique Vivez votre addiction.

 

 

en manque d’incendies

Les normes se déploient braquées sur chaque millimètre

Pour un spectacle d’enfants il est obligatoire de badigeonner les meubles, les rideaux, tout décor, bientôt les humains eux-mêmes. Inflammable est la terreur, le risque de brûler. Et la sécurité est supérieure à la liberté, spectacle annulé sans spray anti-flammes, et la sécurité est supérieure à l’écologie, spectacle sous contrôle mais toxique, et la sécurité est supérieure à la santé, pas de mort spectaculaire, vésuvienne, mais des gorges tousseuses.

Des bâtiments immuables des siècles aucun accident n’est possible. Les pierres demeurent anachroniques dans des paysages urbains auxquels on s’habitue

et plus rien ne brûle. les immeubles sont constants, les institutions, les spectacles, leurs décors sont pérennisés dans le spray. Les flammes sont bannies, il n’y a plus de bâtisseurs. Interdit de fumer, interdits les réchauds, interdit de cracher le feu par la bouche ou le cul. L’architecture persiste sans effort, génération après génération tout est semblable. Seul un humain inexistant photographe de sa ville, percevrait une variation en un siècle. Le plus dommageable est que rien ne brûle.

La régularité est le soldat de l’invisibilisation L’humidité n’entre pas dans la lutte des normes. L’humidité est la preuve que ça ne brûle pas. Jusque dans nos maisons l’humidité règne. Jusque dans nos poumons l’humidité s’infiltre. Elle nous rend malades mais nous sommes saufs, nous sommes loin des flammes. Tout est verdâtre et l’on ne connaît plus l’odeur de la suie. Le mot foyer a disparu. On s’accroupit et on attend le soleil. On est vivant car rien ne brûle. On est vivant et rien ne brûle; On est vivant rien ne brûle. On est vivant ? Tout meurt par excès de survie.

Faustine Dix