La
page
blanche

La revue n° 58 Séquences

Séquences

Tom Saja

Hara-kiri d’un coup de plume (seppuku poétique)

quand tu te tues tue-toi tue toi fort. ailes déployées. fais beauté de ton geste, hara-kiri d’un coup de plume. tue ton poème, efface-lui le point final,son sanglot d’encre.

tu sais la neige est parfaite ici même en été. montagne parfaite tigre parfait dents de sabre sur la gorge.

ne laisse que ton sang sur le blanc manteau en signature baiser du dragon.

baise(r) de la mort qui tue. Tue-toi comme il se doit car l’on ne meurt qu’une fois.

l’on meurt plusieurs fois et dans plusieurs couleurs. l’on fane de saison.

l’eau chaude du thé a ranimé le jour le matin s’étire la circulation du sang reprend. la nuit titube sur le chemin je la vois depuis le tatami. Une goutte coule.

ci-gît buée sur la vitre. rayures d’ombres sur le volatile c’est le soleil freiné par sa prison.

l’oiseau éteint dans sa cage son corps muet déjà loin mélancolie son tu s’est tué. Son son s’est tu.

barreaux de bambous graines parsemées et le poing fermé sur l’or de l’univers.

le seppuku est d’époque le siècle est à décapiter le billot notre cœur. et le bourreau aiguise sa hache tranchante comme l’heure de la nuit.

tue-toi sous le ciel étoilé et tutoie les astres la lame guérie le katana console. la larme à l’œil l’arme à gauche gratis.

le jour où ton cœur joue zombie il est temps. le sexe éclairé par un rayon de lune, las. L’amour pendu au gibet des ruelles. L’amour soupir.

palpe le palpitant là sous la chair sous la douce brise d’avril. Déjà on t’attend quelque part hors de ce monde. on t’attend de la même façon qu’avant ta venue sans t’en témoigner une once. L’engourdissement est la marque de l’âme.

tue-toi un matin banal d’automne pendant que le camion-poubelle passe et que les feuilles mortes dansent dans le vent malgré leur fin. cadavres rouges sur les dalles amortissent le pas des ombres qui fuient vers leurs déjeuners loin de la confidence de ta sortie.

tue-toi comme on mange une pomme comme on coud dans son cœur sa propre chute. rien ne nous attend de l’autre coté de la plume. rien.

mes rêves et mes boyaux dans l’allée du jardin enneigé telles les chaussettes sur le canapé que tu me reprochais tant.

Je faute de goût massacre l’harmonie des nuances. le pinceau caresse ma carotide. le pinceau caresse ce paysage que j’entrevois par la fenêtre depuis plusieurs jours prostré sur mon futon.

je ne peux rien avaler. Je me vide et tu n’es plus là. Je rampe sur le sol toutes les heures.

un tas de neige tombe, un oiseau s’apeure et s’évanouit. Rien de plus beau aujourd’hui.

le seul silence du monde se trouve dans la chute des flocons. Tout le reste n’est que bruit.

le souvenir de ta peau. Sa douceur me meurtrit.

il y a dans le jardin un sage cela fait quatre-vingts ans qu’il essaye de peindre les nuages

quand je lui demande s’il sait après toutes ces années peindre les nuages il me répond j’essaye déjà de savoir peindre le ciel.

il y avait ton sein blanc sous le tissu noir tes cheveux battant à plates coutures la rivière.

tu as claqué la porte. J’étais dans une fièvre d’hiver. Violente. Je me souviens ma tête à failli exploser puis plus rien. un au-revoir dans un monde sans gares.

dans le silence un fruit est tombé. Il était rouge et percé d’un trou. Il est resté seul dehors dans le froid détaché de son arbre. Crevé.

l’on ne ressent pas la santé malmenée dans l’existence endormie. Les pas du fichu crépitent sous la neige. Où est-ce la neige ?

comme le soldat tombant au combat tenant ses entrailles entre ses mains je commanderai en dernier repas du condamné un câlin de ma mère.

toux de sang dans le mouchoir. Corbeau blessé sous la houppe des cèdres. Tout est à sa place.

vocabulaire : il y a sept types de neige au Japon. neuf variétés. En français dans les synonymes on tombe rapidement sur le lexique de la drogue.

ici le printemps est là ni les neiges ne fondent ni mes oiseaux ne chantent harakiri d’un coup de plume oui ici l’eau du lac peine à refléter ton absence mes oiseaux se sont tus hara-kiri d’un coup de plume.