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blanche

La revue n° 58 Séquences

Séquences

Bernard Meyer

NUÉES (extraits)

Amas de vapeur d’eau condensée en fines gouttelettes que les courants ascendants maintiennent en suspension dans l’atmosphère.

Dans le champ cotonneux des nuages, la lune semble moissonner. Fuligineux bisons, roulant, terribles, le front bas, en rangs serrés sur la plaine assombrie. Ils se mêlent entre eux et deviennent ceci ou cela. Leurs échanges engendrent leurs changements.

Nul nuage aujourd’hui : du gris. Face à moi, cependant, un brouillard épars longe en la rasant la crête noire et verte, pareil ici ou là, à une fumée sale. Mais tandis que j’écris, des amas se densifient et s’avancent plus sombres. Des hirondelles flèchent la vitre et virent. La pluie, qui depuis hier presque sans relâche nous mitraille, va reprendre. La pluie, fécondité et destruction, caresse et fouet : don du ciel.

Leurs fronts s’assombrissent et se plissent. Entre eux, la tension monte. Ils engendrent des feux, ils échangent des foudres. Et quand soudain l’éclair surgit et tonne, ils lancent contre nous des javelots mortels.

Ces forteresses impavides, ces murailles, ces tours… leurs masses nobles auront disparu tout à l’heure. Insensiblement les nuages passent - comme nous.

Les nuages nuancent le ciel. Que serait un ciel toujours nul ? Un bleu terrible. Accommoder en soi les rais et les nuages.

Car il n’a rien d’humain, ni tête, ni membres sortant du torse comme branches, ni genoux, ni plantes agiles, ni sexe toisonné : il n’est au-delà des mots, que vapeurs, émanations rapides parcourant l’univers.

O si compacts et denses d’apparence ! Dirait-on que leurs formes échappent à la main, impalpables, en vain saisies comme les spectre du sommeil - et que sans cesse les traverse l’éperon des jets ?

Les vents roulaient un grand nombre des têtes sans cou, des membres sans torse, des troncs vaguant, des fronts sans prunelles. Le noir vélum, se déchirant, libère un bleu inattendu. L’azur lumineux sourit.

Dans le vide expansif, de la matière s’amasse en nappes et sans fin engendre des mondes, qui ne nous sont rien.

Le torse pommelé des gladiateurs me fut un ciel, que l’âge peu à peu m’interdit. Suffirait-il d’écrire pour s’ouvrir un ciel ?

(Les fragments de ce texte sont disposés pour Lpb de façon non conforme à l’original. Ndlr)