La
page
blanche

La revue n° 58 poètes de service

poètes de service

Quentin Baffreau

[ Né en 1998. Il se souvient qu’un été, il devait avoir quinze ou seize ans, il entra dans une librairie et acheta Alcools d’Apollinaire. Il ignorait tout du monde qui allait s’ouvrir, brutalement. Il y eut ensuite le lycée, des rencontres, des lectures, les premiers poèmes ; maintenant, il y a l’université, entre philosophie, lettres et histoire de l’art. Dans tout cela, lecture et écriture se succèdent, rythment son temps, et, telle une peinture du vieux peintre Wang-Fô (Yourcenar, Nouvelles Orientales), lui ouvrent des rapports à la limite des sens humains.]

 

 

Noircir mon plus clair jour

La lumière du sous-bois compense la feinte de tes narcisses. Ces gloires silencieuses ne m’attendent plus.

Tu étais entre l’écharpe et le cœur. Plus rien ne te retient à présent. Sauf peut-être la neige de ce matin tombée.

Ton cœur était entre l’arbre et la montagne, pas au-dessus. La fleur de première neige m’invitait, comme la pierre, comme la cloche, le fidèle. Tu changeais de manteau.

Ils étaient amoureux, des visages de soleil. Les lacs noirs des herbes, sous leurs pas, annonçaient le vitrail déchirable de l’été et le fond des roses thyrses.
J’ai fumé jusqu’à ta maison au pré des chevaux. Y es-tu comme le loup de la comptine ? Ou meurs-tu comme le chevreuil au collet de la neige ? Je me suis hissé grâce à la courte échelle des arbres pour voir ta fenêtre et toi à travers. Mais je n’ai vu qu’un peu de neige et des volets dont le battement s’était tu.

Ta paupière écroulée a regagné la neige et le désert de sel. Noir sera demain. Hier déjà suit des murs noircis. Passerai-je l’hiver ? Seule trace de ton silence, des plumes dans un champ de givre. Nous y voyons le retranchement de l’ombre et la pure flamme de l’espoir qui absorbera l’illusion, sans voir qu’une flamme sans haleine, entrave oubliée des aigrettes à l’abreuvoir, n’est que le foyer de sa propre illusion.

Aujourd’hui, la ronce et l’ortie me donnent la main sur la route du salut.

Le chant des oiseaux est une borne nouée au lointain, un sommet dont l’arbre fait provision avant que leurs nuées n’obscurcissent les cieux.

La gerbe se perd dans l’immensité de la lumière close des nuages et entraine dans sa coulisse la pourpre de ses manches. Les jours de clémence, tu t’enfuis par la pluie pour toucher les pointes des feuilles et l’or des fruits somnolents. La herse vive des corbeaux du crépuscule passe sur les labours des astres et creuse dans nos mains des créatures de papier.

Mais le salut n’est pas d’âme.

Comme le vieux chemin qui apparait et disparait au gré des pas, au-delà d’un jour ou d’un siècle en présence de mon retard, son enfance endormie m’accompagne entre les vals et les coteaux de cette vie.

Par moments, il forme de minuscules églises, des tentes de blancheur sous lesquelles j’entrevoie tes merveilles et où je peux enfin te dire adieu.

Le salut, c’est cela (je crois) : dire adieu à la foi et à son amitié saisissante, à l’iris ardente d’éternité, la laisser au bord du chemin pour qu’elle puisse brûler à nouveau, pour que d’autres vies s’éprennent d’elle et lui disent aussi adieu, incapables d’écouter plus longtemps la trace de son silence et de vivre malgré son absence. C’est n’être touché que par ce qui nous frôle et n’être frôlé que par ce qui nous brûle.

 

 

Je t’écris

Tu es le pain sur la table des silences. Un osselet d’or, une pépite de joie, nue après la mort, morte après le jour d’un enfant qui pleure, rêve impeccable d’un enfant de nuit. Je t’écris ange, une manière de dire la douleur et la joie. Petit ami du soir, je t’envoie ma mie loin de l’air dégouté pour que tu puisses respirer la brume des mètres carrés de ma chambre. Le soir, avant de dormir, telle la poussière d’un corps sous un fauteuil, tu parles pour l’ombre, tu me racontes son histoire mieux qu’aucun homme. Tu murmures son voisinage à ceux qui veulent entendre, aux témoins comme aux ailleurs. Peut-être parce que tu n’es que l’ombre d’une ombre comme la lumière des lectures. Comme l’enluminure d’un livre d’heures, tu n’es peut-être qu’un sourire qui ne tient qu’aux ténèbres.

Une robe est pendue sous ton chignon. Elle est cette autre chaine attachée au seul barreau de ta nuque. Elle se ferme comme une feuille de mimosa sitôt que je m’en approche. Je reste ainsi derrière la porte et regarde cette longue goutte de pluie s’éterniser sur ton dos comme sur l’œil d’un châssis. Elle s’accroche à la poignée pour devenir un fantôme. Le vase peut se briser et laisser derrière lui la dépouille des tournesols, elle demeurera le houx à ta gorge, une photo de chute inflammable dans un album d’oranger, la serrure insonore de l’arbre où le fer et le soleil, clef de profil qui chante, m’offrent la silhouette du soir.

Une pensée sur un herbier de verre.

L’infusion de mauve sous ton chignon.

Ton visage est celui d’un enfant allongé dans l’herbe interdite, sur la serviette blanche des trèfles. Son cœur peut être enfermé dans une boule de fer ou arraché comme une écaille sur le sable. Semblable aux épluchures de poussière dont les adultes se voilent, il est cependant le ruban d’air de toute les maraudes, l’auteur des nuages et des éclairs, l’écorce sauvage qui brûle l’escalier. Sorti d’une aile, plume oublieuse, tu vides les poches noires des moteurs et l’envergure métallique des hommes aux bottes fanées.

L’aube est parfois une eau glacée où tu te noies. La paupière du ciel vient y faire un somme. L’amour sombre comme l’effraie pour ne pas être la mendiante du jour. C’est l’heure des chansons de l’oiseau, mais son cri d’aurore s’efface devant la rumeur des roues, son insurrection lui est une fois de plus confisquée. J’écris mortel devant le thé d’hier asséché de diamants noirs. Nuit d’hier, claire ruine. Le miel me troue la gorge. Mon cœur gercé par une cuillère de froid. Cette épice noire du matin ronge ma langue. Elle ne sera bientôt que la conserve de ma bouche. La berge me retranche-t-elle encore dans ses multiples branches de cailloux et de boue ?

J’espère lui faire don de chair une fois la sécheresse passée. Je t’écris au temps des yeux de bruyère. J’écris mortel et vain sur un agenda de neige. De janvier, les taches de café des nappes sont aussi les rouges robes des nuits de juillet. Les forêts tombent en bûche dans l’inconnu d’une charrette, comme en ruisseau le sang des chevaux dans les rues. La joie éclate, la joie des goélands, ses lèvres sont de vent, j’écris mortel comme mille foyers, aux mille vapeurs. La joie siffle comme le train de la première heure. Savoir l’heure, c’est ne pas savoir mourir. Par chance, on ne m’a jamais appris à la lire. La joie rit toujours jaune comme les goélands, j’écris mortel, la joie, l’amer rôde autour, je ne m’y arrête jamais, sans jamais aller au-delà, j’écris mortel comme devant la couverture d’un livre dont la pluie effacerait les empreintes. Je t’écris mortel car j’ai cessé d’écrire, je t’écris sous l’aiguille d’un ciel bleu, amant de l’aigle et des prophètes, j’écris mortel quelques églantines sur ton visage, à dominante rose ou verte sur le fond noir de tes yeux. Je t’écris les notes d’une cage sans oiseau.

Quentin Baffreau