La
page
blanche

La revue n° 61 Notes de...

Notes de...

Pierre Lamarque

ÉDITION DE MOTS

Cela peut choquer certains qu’on ose toucher à la structure d’un poème... comme si un poème était quelque chose de visuel, alors que la lecture est un processus auditif : on entend, on croit voir, on ne voit rien dans l’obscurité des signes sur la page blanche, on écoute, on ne regarde pas un poème…. Par contre, quand on lit un poème il faut savoir lire de façon fluide et non pas saccadée... La forme visuelle disparaît dans la forme auditive... si on est aveugle on ne perd rien du discours, de la pensée. Même un sourd entend ce qu’il lit...

Beaucoup s’imaginent que la forme visuelle d’un poème sur papier compte. Il faut comprendre que la forme graphique n’est que la forme imposée à la lecture. (Je ne parle pas de cas particuliers, comme les Calligrammes). La lecture est un processus auditif, ce n’est pas un processus visuel : sur la page ne sont inscrits que des signes comme le sont des notes inscrites sur une partition. La lecture est l’écoute (par une sorte de voix intérieure) de signes transformés en sons, par la voix intérieure qui, entendue, fait sens.

L’Objet esthétique n’est pas, sauf dans la poésie spatiale, l’objet visuel de signes présentés sur la page dans un certain ordre. L’objet esthétique est la pensée exprimée par la parole entendue et non vue en signes sur papier, l’objet esthétique est la parole entendue dans sa nudité par l’intermédiaire de la voix.

L’expérience m’a appris comment les poètes construisent leurs textes… ils construisent leurs textes sur l’idée que les vers sont plus « poétiques » que la prose. D’où vient ce préjugé ? De son éducation culturelle, du poids des traditions, du besoin de faire comme les autres... en effet, historiquement, tant dans l’histoire générale de la poésie que dans l’histoire individuelle du poète, l’animal humain a appris à composer des vers, des groupes de mots, et les harmoniser dans un ensemble de vers. Simplement, ce que je veux dire, c’est que la moitié des gens qui font comme ça, suivent cette recette, pourraient, s’ils en avaient conscience, à la fin de la construction de leur poème, enlever le vers parce que la versification elle-même peut - j’en suis convaincu - disparaître dans une forme en prose qui devient immédiatement plus compréhensible car la prose est la manière naturelle de s’exprimer, la prose est la parole.

Les mots font des phrases et les mots sont faits de phrases. Je penche pour la restauration de la conscience de la phrase et donc je plaide pour la prose qui elle-même est faite de phrases. Je veux supprimer l’ornementation baroque de la versification et jeter droit - sans contorsions - le sens et les lignes de mots qui sont chargées de le porter. La beauté n’est pas dans l’agencement des mots, elle est dans les mots. Prose et poésie même combat.