La
page
blanche

La revue n° 61 poètes de service

poètes de service

François Desnoyers

Ma naissance me surprend encore aujourd’hui, bien que celle-ci eut lieu il y a une soixantaine d’années. Elle m’a condamnée à être moi-même, bien que cela me soit assez difficile. Mon premier amour fut, non cette fille au primaire mais la beauté que j’ai retrouvée dans toutes les manifestations de l’art qui m’a été donné de rencontrer, que ce soit par la musique, la peinture, la littérature ou le cinéma. J’ai donc participé à un premier BAC en études françaises ainsi qu’à un second en arts visuels.

 

 

Extraits de
La vie en pièces détachées

Mon ivresse parle toute seule

Cette table n’a plus l’air d’elle-même

Les repas devant moi font naufrage

Entrailles débordantes d’ennui

 

L’huile des mots me trace un silence qui tache

Au mitan du visage

Sous la gouttière des lèvres

 

Je fais corps avec les rumeurs

 

 

 

 

Extrait de
Le Corps à tue-tête

Il eut voulu conjurer l’exactitude, ligoter les distances, mordre dans la nuit des temps. Essorer ses doutes et ses gaspillages
le caractère improbable de l’existence.
Refaire chaque matin à son image
Bien sûr, on peint ce tableau avec le gris de la solitude. Le fumier d’un paramètre inéluctable.
En avance sur son temps

 

 

 

Extraits de
Lampes de fond

Les jours qui suivirent furent dégagés, sans épaisseur ni durcissement. Léthargie de la surface plane. Pâleur du palimpseste... aux quatre vents de la respiration.
Pour que leur réclusion se déchiffre un jour, l’air s’était taillé une blessure impossible, sans forme.
Un visage reculé.
Exposé à tous les regrets.

 

 

Algèbre

Un mot n’est jamais exactement, par lui-même, cette variable qui se plie parfaitement à nos besoins particuliers, ni un opérateur essentiel à la résolution de nos propres inéquations.
Pour se convier, se résoudre à une plus simple expression, se rompre au doigt et à l’œil, mise à part la pulsation du geste, il nous manque encore le définitif, temps du verbe auquel nous échappons tous, où chaque part de silence nous appartient.
Pour que ces aspirations soient attentives aux déchirures, à la ténacité du cadastre, à l’impartialité du calcul, il y aura peut-être la patience de l’eau dans les yeux.
La souplesse du sourire.
L’intensité de la faille qui nous sollicite.
Nous sommes le produit d’un nombre fini de facteurs indépendants, considérant l’intangible possibilité que l’un d’eux seul soit nul.
Sans voix.

 

 

 

Table d’hôte

Chaque service doit supporter un minimum de paroles, l’armée des gestes déplacés, les langues pêle-mêle, les angles imprévus.
Couper les opinions en petits morceaux. Les faire revenir environ cinq minutes. Jusqu’à ce qu’elles deviennent lucides. Brasser régulièrement, jusqu’à capitulation de la sauce.
Délayer les manières brusques. Faire réduire les premières impressions. Introduire les cas douteux, les oublis. Chauffer les idées préconçues. Mélanger l’air de rien aux promesses vides.
Prévoir les coups. Les regards aigus, disposés en papillotes autour de la table.
S’agiter inutilement devant la lourdeur des choses dites. Laisser mijoter les implications. Percer la paroi des excuses.
Voler quelques minutes au destin.
Servir sans explication.

Tous les mensonges possèdent une horlogerie.