poètes du monde
XVIII
Baise m’encor, rebaise-moi et baise ;
Donne m’en un de tes plus savoureux,
Donne m’en un de tes plus amoureux :
Je t’en rendrai quatre plus chauds que braise.
Las ! te plains-tu ? Çà, que ce mal j’apaise,
En t’en donnant dix autres doucereux.
Ainsi, mêlant nos baisers tant heureux,
Jouissons-nous l’un de l’autre à notre aise.
Lors double vie à chacun en suivra.
Chacun en soi et son ami vivra.
Permets m’Amour penser quelque folie :
Toujours suis mal, vivant discrètement,
Et ne me puis donner contentement
Si hors de moi ne fais quelque saillie.
Louise Labé
Sonnets
Poésie/Gallimard
Chaque grain de Sable,
Chaque Pierre du Rivage,
Chaque roc & colline,
Chaque source & ruisseau,
Chaque herbe & chaque arbre,
Mont, colline, terre & mer,
Nuée ; Météore & Étoile,
Est un Homme vu de Loin.
William Blake,
dans la lettre à Thomas Butts du 2 octobre 1800.
La lune
on ne la voit dans les fêtes.
Il y a trop de lunes
sur la pelouse !
Tout veut jouer à être lune.
La même fête
C’est une lune blessée
qui est tombée sur la ville.
Des lunes microscopiques
dansent sur les vitres
Et certaines restent
Sur les gros nuages
De la fanfare.
La lune de l’azur
on ne la voit pas dans les fêtes
Elle se voile et soupire :
« J’ai mal aux yeux ! »
Federico Garcia Lorca,
Poemas de la Feria
Traduction de Winston Perez
ZBIGNIEW HERBERT (1924-1998), poète polonais, à l’ironie douce, un timbre de voix parfois douloureux, acéré, saisissant le plus proche, l’extérieur familier, rendu à l’étrangeté de sa présence, et l’intérieur, mémoire des lieux, des êtres, mémoire des mythes, de l’histoire.
Monsieur Cogito songe au retour dans sa ville natale
«Si je retournais là-bas
je ne retrouverais sûrement pas
ni l’ombre de ma maison
ni les arbres de mon enfance
ni la croix avec une plaque en fer
le banc où je murmurais des incantations
les châtaignes et le sang
ni aucune autre chose qui soit nôtre
tout ce qui a subsisté
c’est une dalle de pierre
avec un cercle de craie
je suis au milieu
à cloche-pied
un instant avant de sauter
je ne peux pas grandir
bien que les années passent
et que grondent dans les hauteurs
les planètes et les guerres
je suis au milieu
figé comme une statue
à cloche-pied
avant de sauter dans l’irrémédiable
le cercle de craie rouille
comme du sang ancien
tout autour des monticules
de cendres
m’arrivent aux épaules
à la bouche
ZBIGNIEW HERBERT
Extrait de Monsieur Cogito, œuvres poétiques complètes II