La
page
blanche

La revue n° 61 poètes de service

poètes de service

Patrice Maltaverne

Né en 1971 à Nevers, Patrice Maltaverne vit à Metz. Il a publié depuis 1990 des poèmes dans une trentaine de revues.
À l’enseigne du Citron Gare (association), il anime le poézine « Traction-brabant » depuis janvier 2004 (99 numéros parus), ainsi que le blog : http://www.traction-brabant.blogspot.fr/. En 2012 il a créé deux blogs de chroniques poétiques : http://www.poesiechroniquetamalle.blogspot.fr http://www.cestvousparcequecestbien.blogspot.fr. Il fonde enfin les micro-éditions Le Citron Gare (19 recueils parus) : http://www.lecitrongareeditions.blogspot.fr
Dernières publications :
« Selfies du diable » (Éditions Vincent Rougier, 2019), « Des ailes » (Z4 Editions, 2019), « La voiture accidentée du futur » (Éditions Urtica, 2020), « Le tête-à-queue de la jeunesse posthume » (Le Citron Gare, 2021, anthologie de poèmes précédemment parus en revues), « Jeunes et vivants » (Editions de l’Alisier blanc, 2021)

Extraits de
la chair des choses

Je rêve de découper les immeubles comme des parts de gâteaux. On verrait peut-être les petits humains en dégringoler comme des fèves. On verrait alors les escaliers faire leur boulot de monter descendre. Et la séduction les déplacerait au-delà de frontières insoupçonnables de l’extérieur.
Suite de casse-pattes à repasser à toutes les vitesses plus rapides que lentes. Presque la version sèche de nos tuyauteries. La dentelle de nos nuits insomniaques. Le froufrou des jupes chevauché avec la crinoline des marches.
Ce qui nous fait une belle jambe coupée avec difficulté.
Enfin les marches dévêtues que démontre cet emplâtre figé par une légende.

*

Sur le banc de pierre qui s’étire le long de la place magique la position des fesses est marquée comme autant de moutons à sauter.
Par rapport au spectacle offert des jeux d’enfants à la gomme certaines zones du banc apparaissent centrales.
La pierre blanchit davantage à ces endroits qui deviennent polis par les fesses adaptées à leurs sièges baquets. Elles y tressautent aux après-midi de chaleur jusqu’à minuit.
On dirait déjà une statue complète promise par ces empreintes.
À d’autres endroits plus reculés les feuillages des tombes semblent s’être imprimés en une multitude de points noirs. La pierre entre en correspondance avec des corps qui veulent se terrer pour se taire. Leur absence équivaut à leur saleté.
De la religion à l’apparence un brelan de fantômes dispose de l’espace.

*

Peut-être que les saules pleurent davantage depuis qu’ils sont des humains.
Celui-là s’est effondré sur la dernière bande de terre montrant des boyaux blancs par où s’échappe le cœur. Pas comme sa tête qui est toute noire. Les torsions de l’oxydation se tournent vers la boue de l’humus.
Les contractions du cœur n’ont donné naissance qu’à la mort. De l’autre côté il y a tout un plateau de branches. Fanons de piano désaccordés plus sombres alors qu’ils s’amincissent.
Savoir que cette grande personne sera réduite en petits morceaux calibrés. Ce saule trop humain qu’il faut à tout prix faire tenir dans les catégories des hommes.

*

Ça n’a pas de forme. Ça ressemble à une voiture à l’arrêt sous une cape brûlée. Mais si ses feux se rallument ils seront d’un rouge d’acier à ébullition. Cette prophétie se réalisera sous toutes les perspectives.
Seul le temps est impossible à bouger. Avant ou après. Le sentiment des feux éteints est le plus cruel. Il concerne un corps prêt à enfourner pour le linceul. La mémoire centrale ne répond plus morne monceau de pierre. Oui elle est définitivement éteinte et sous toutes les perspectives ses pieds comme sa tête sont noircis.
L’activité ne redémarrera pas. L’activité déjà est un leurre. L’homme est un gisant que ne trouble pas sa forme définitive. Et ça me fait mal de savoir qu’aucune vapeur de lumière profonde ne renaît de ce qui se révèle encore plus profond.
Un coma tout à fait silencieux monolithique.

*

Les plaques d’égout évitées par plusieurs ont la face d’une bonne bouille toute fermée. Traduction des corps. Empreintes cloutées de morts enterrés debout.
Il y a comme un vide au milieu de ce visage qui permet de le retourner comme on tire sur la peau pour la faire crier. Sauf que derrière c’est le vide. Et les fétides courants d’en bas se ramènent à la surface avec nos entrailles abandonnées quelque part.
Mais on ne sait jamais. Qu’un homme en sorte. Qu’un spéléologue défiant la loi des apparences nous sauve de celle-ci. Comme si le geste de faire entrer la lumière ôtait une dimension à nos intériorités perverses.