Mission traduction
…
l’histoire je ne la lis pas dans les livres
je l’apprends de la bouche des vieux autour du feu
lorsque le jour a déjà gagné son salut
le matin je cueille des raisins dans les vignes et je coupe du bois
lorsque la lune se lève je joue du tambour
et mes tambours ont des ornements vivants
des fleurs de prunier et des nuages /
/ des serpents à sonnettes
des pythons et des cobras
du pollen de chrysanthème pour les mains des joueurs de tambour
j’ai grandi
maintenant je suis le vent qui vient des quatre points cardinaux
personne ne le voit mais
tout le monde l’entend
pêle-mêle
les soldats et les femmes violées
ont mis leurs armes sur l’épaule
ils rejoignent
les vallées chargées de rayons de miel
je fais sonner la trompette de la guerre
je tape des mains
comme au jour où je plantais des plantes vertes derrière la maison
j’y vais la première
sur le bras gauche je me suis fait tatouer le numéro
d’identification des morts d’Aiud1
sur le bras droit les initiales des Juifs de Varsovie
nous venons en chevauchant trains et avions
je noue des sifflets aux flèches
et des clochettes aux fusils
nous sommes tout près
le roulement de notre victoire a fait le tour de la terre
comme autrefois le tour de Jéricho
…
on vous met le couteau sous la gorge ensuite on vous remercie d’avoir coopéré
vu le syndrome d’atrophie cérébrale
je ne peux plus rien dire que Dieu me vienne en aide je prends
mes cachets soir après soir je m’agenouille devant les icônes
que Dieu me vienne en aide
je dors d’un sommeil profond qui
porte les enseignes de la jeunesse
des lumières rougeâtres qui se faufilent à travers les rideaux mouvants
je me réveille le matin et sonne l’alarme
nos armes sont belles
rien qu’acier et os
je tousse
le souvenir au mois de mai d’une pneumonie
l’anamnèse de la voix première
silence
les Cubains ont donné des balles aux enfants
les ont enrôlés dans l’armée rebelle
les ont tués
je cherche les morts
leurs soldats meurent fusillés
ils avancent en rampant comme des blattes vers
la plante du pied
leurs soldats ne sont pas des êtres humains
dans nos rangs Ivănaş Spătarul reçoit l’ordre
d’aller à Antoneşti2 en traîneau
comme en 46 lors de la famine
il ramène nos morts
maintenant ils sont vivants
dans les prisons il n’y a que mes hommes
dans les chambres de torture il n’y a que mon armée
– selon l’intensité
Aiud – Gherla – Piteşti3
enseignes nationales pour le premier régiment
la chambre-hôpital n° 44
Moni Stănilă
Traduction par Linda Maria Baros
1 : Dans la prison d’Aiud, surnommée la cité de la mort, les autorités communistes roumaines ont torturé et assassiné un nombre incommensurable de détenus politiques (n.d.t.).
2 : Village en République de Moldavie (n.d.t.).
3 : Tout comme à Aiud, dans les prisons de Piteşti et de Gherla, les autorités communistes ont supplicié et tué des milliers de détenus politiques (n.d.t.).
4 : Allusion au « Phénomène Piteşti » (1949-1952), expérience qui visait la transformation des victimes en bourreaux par le biais de la torture. La chambre-hôpital n° 4 était la cellule où l’on utilisait les moyens de torture les plus atroces (n.d.t.).