La
page
blanche

La revue n° 67 Mission traduction

Mission traduction

l’histoire je ne la lis pas dans les livres

je l’apprends de la bouche des vieux autour du feu

lorsque le jour a déjà gagné son salut

 

le matin je cueille des raisins dans les vignes et je coupe du bois

lorsque la lune se lève je joue du tambour

et mes tambours ont des ornements vivants

des fleurs de prunier et des nuages /

                                                                           / des serpents à sonnettes

des pythons et des cobras

du pollen de chrysanthème pour les mains des joueurs de tambour

 

j’ai grandi

 

maintenant je suis le vent qui vient des quatre points cardinaux

 

personne ne le voit mais

 

tout le monde l’entend

 

pêle-mêle

les soldats et les femmes violées

ont mis leurs armes sur l’épaule

ils rejoignent

les vallées chargées de rayons de miel

 

je fais sonner la trompette de la guerre

je tape des mains

comme au jour où je plantais des plantes vertes derrière la maison

 

j’y vais la première

                sur le bras gauche je me suis fait tatouer le numéro

                                                         d’identification des morts d’Aiud1

                sur le bras droit les initiales des Juifs de Varsovie

 

nous venons en chevauchant trains et avions

 

je noue des sifflets aux flèches

et des clochettes aux fusils

 

nous sommes tout près

le roulement de notre victoire a fait le tour de la terre

comme autrefois le tour de Jéricho

 

on vous met le couteau sous la gorge ensuite on vous remercie d’avoir coopéré

vu le syndrome d’atrophie cérébrale

je ne peux plus rien dire que Dieu me vienne en aide je prends

mes cachets soir après soir je m’agenouille devant les icônes

que Dieu me vienne en aide

je dors d’un sommeil profond qui

porte les enseignes de la jeunesse

des lumières rougeâtres qui se faufilent à travers les rideaux mouvants

 

je me réveille le matin et sonne l’alarme

nos armes sont belles

rien qu’acier et os

 

je tousse

le souvenir au mois de mai d’une pneumonie

l’anamnèse de la voix première

          silence

 

les Cubains ont donné des balles aux enfants

les ont enrôlés dans l’armée rebelle

les ont tués

je cherche les morts

 

leurs soldats meurent fusillés

ils avancent en rampant comme des blattes vers

la plante du pied

leurs soldats ne sont pas des êtres humains

 

dans nos rangs Ivănaş Spătarul reçoit l’ordre

d’aller à Antoneşti2 en traîneau

comme en 46 lors de la famine

il ramène nos morts

maintenant ils sont vivants

 

dans les prisons il n’y a que mes hommes

dans les chambres de torture il n’y a que mon armée

– selon l’intensité

 

Aiud – Gherla – Piteşti3

enseignes nationales pour le premier régiment

la chambre-hôpital n° 44

Moni Stănilă
Traduction par Linda Maria Baros

 

 

1 : Dans la prison d’Aiud, surnommée la cité de la mort, les autorités communistes roumaines ont torturé et assassiné un nombre incommensurable de détenus politiques (n.d.t.).

2 : Village en République de Moldavie (n.d.t.).

3 : Tout comme à Aiud, dans les prisons de Piteşti et de Gherla, les autorités communistes ont supplicié et tué des milliers de détenus politiques (n.d.t.).

4 : Allusion au « Phénomène Piteşti » (1949-1952), expérience qui visait la transformation des victimes en bourreaux par le biais de la torture. La chambre-hôpital n° 4 était la cellule où l’on utilisait les moyens de torture les plus atroces (n.d.t.).