Rayonnage
Alain Rivière
Dolorès - Paulette éditrice
Dolorès m’a paru d’une grande intelligence. Le dispositif déjà me plait beaucoup. Une histoire racontée comme on coupe un quartier de viande : chaque paragraphe fait exactement quatre lignes. Récit qui essaie de répondre à cette question : comment en vient-on à pousser un policier dans la lagune de Venise ?
Il y a là un équilibre parfait entre la part narrative et la part poétique : on lit le texte pour les deux, autant pour l’histoire que pour la forme.
Dolorès est un personnage fascinant et son geste initial de bousculer l’ordre est en soi un portrait en actes. J’aime aussi la narratrice et notamment ces scènes de parloir – lieu qu’elle finit par regretter. Dolorès nous bouscule, la narratrice nous touche. L’impertinence de Dolorès m’a rappelé le narrateur dans «Le démon de la colline aux loups», de Dimitri Rouchon-Borie : dans les deux cas, il est question d’un procès.
La collection dans laquelle il a été publié par les éditions Paulette est presque trompeuse : je n’ai rien vu d’autre là qu’une histoire d’amour. L’aspect LGBT est vraiment périphérique. Une femme en attend une autre. Thème central que celui de l’attente et qui convoque aussi Buzzati.
L’extrait :
écris pour les gardiennes, me dis-tu d’un ton grave, oui, ecris d’abord pour les gardiennes, il faut les aider, quant aux détenues, elles se débrouillent, elles ont l’habitude, elles n’attendent rien et, comme on dit, elles en ont vu d’autres
c’est ma première visite et tu me fais une grimace derrière la table qui nous sépare, le parloir est une pièce sans fenêtre avec des murs gris éclairés par un seul néon au plafond, une gardienne dans un coin nous garde, je me mets à rire
as-tu vu la peinture murale dans le couloir des contrôles, me demandes-tu, on a peint là une femme en maillot de bain sur un fond de poissons bleus et d’étoiles blanches, c’est la joie de l’été, la joie de la mer, sans doute aussi la joie de la prison