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blanche

La revue n° 67 Sans dessus dessous

Sans dessus dessous

Où enterrer les feuilles mortes ? 

Commençons par ce truisme : en général, les feuilles mortes « tombent ». Dans les cimetières ou ailleurs. Mais toujours en automne. Et il en tombe même des tas ! A en remplir des tombereaux. Rappelons alors que si les feuilles mortes se ramassent à la pelle, c’est parce qu’elles ne font pas de vieux os.

 

 

On peut bien entendu les enterrer à côté de la hache de guerre. Mais les arbres sont bien trop méfiants vis-à-vis des haches pour s’en cogner. Je vous l’hachure. Car il ne viendrait à l’esprit de personne d’enterrer une hache au pied d’un arbre, sauf bien sûr si on veut combattre le mal à la racine.

 

 

Attention cependant à toujours bien respecter le protocole lors des obsèques de ces feuilles : on enterrera toujours une feuille à quatre. Ou à trois, si on a paradoxalement la folie des grandeurs. Rarement à cinq. Car dans la mort comme dans la vie, il ne faut jamais voir trop grand.

 

 

Remarquons toutefois qu’il n’est pas obligé de les enterrer : à l’instar de feu les billets de train en version papier, les feuilles peuvent aussi se composter. Dans la plus pure tradition biblique qui affirme à peu près : « Tu es compost. Et tu redeviendras compost ». Encore plus de décomposition, pour toujours moins d’incinération ! De quoi tomber sur un os !

 

 

Continuons par cet autre lieu commun : en automne, la nature se meurt d’une mort naturelle, et ses feuilles attendent patiemment, après leur baptême du feu estival, l’extrême onction hiémale. Pour les arbres, ça sent donc le roussi. Sauf pour le sapin. Et malgré les flamboyances des couleurs d’automne, que faire d’une nature morte ? La ressusciter peut-être, grâce à un artiste qui ne s’emmêle pas trop les pinceaux ? Un statutaire hors-pair qui serait à même de lui offrir une sculpturale sépulture ? Une sorte de sépulcre sacré, entre le suaire et l’ossuaire.

 

 

Nuançons encore en disant qu’on rêverait de voir plutôt d’autres feuilles trépasser. Pas la feuille blanche, trop inspirante. Ni même la feuille de vigne, vierge (gare à la pelle si celle-ci tombe du reste). Ni même encore l’inoffensive et trop pieuse feuille d’émargement qui se signe parfois de croix. Loin de nous aussi la feuille volante qui s’en ira au vent mauvais. Rien de tout cela. Il s’agit bien entendu de la seule feuille qui mériterait d’être brûlée, surtout si on a trop bûché : la feuille d’imposition, que l’on a tous envie de voir morte et enterrée, réduite en cendres et sans résurrection possible.

 

 

Concluons notre papier sur une note culturelle : « Où enterrer Jean sans Terre ? » a trouvé sa réponse historique. A contrario de nos feuilles mortes qui ont eu, quant à elles, des funérailles poétiques… Car à bien y réfléchir ‒ et lecteur, Oh, je voudrais tant que tu t’en souviennes ‒ les feuilles mortes s’enterrent dans un Prévert. Pour mieux renaître le printemps des poètes venu ! C.Q.F.D.

Patrick Modolo