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blanche

La revue n° 67 Zoom sur...

Zoom sur...

Thierry Metz

Thierry Metz est né à Paris en juin 1956. Son père est chauffeur-livreur. Dès l’âge de 14 ans, il lit tout ce qu’il peut acheter aux chiffonniers d’Emmaüs. Après son service militaire, il s’installe près d’Agen et accomplit divers travaux manuels : chantier, entrepôt, abattoir, bâtiment, terrassement… Il commence à écrire des poèmes, encouragé par sa femme et ses enfants. Il travaille comme manœuvre, puis se consacre à l’écriture pendant sa période de chômage. Thierry Metz s’est donné la mort en 1997 à l’âge de 41 ans.

À La Page Blanche, nous sommes plusieurs à penser que la poésie de Thierry Metz est une des plus belles de la fin du XXème siècle. Soulignons l’action de Stéphane Mirambeau, à la tête des éditions Pierre Mainard, sise depuis peu en Charente-Maritime, à Bédenac, pour l’édition ou la réédition de plusieurs livres de Thierry Metz, dont l’édition de ‘Poésies 1978 - 1997’ qui rassemble tous les textes inédits publiés en revues - principalement dans la revue Résurrection animée par Jean Cussat-Blanc , qui confia cette poésie à Jean Grosjean , alors lecteur chez Gallimard - ainsi que dans une dizaine d’autres revues dont la revue Diérèse qui publia de nombreux poèmes inédits de l’auteur après sa mort.

La poésie de Thierry Metz n’est pas comme un pistolet posé sur la tempe, elle se déploie – je crois – dans une sorte d’atemporalité. La poésie de Thierry Metz, même lorsqu’il est interné, ce qui donnera son recueil le plus célèbre, L’homme qui penche, n’est pas une poésie de l’urgence. Elle est celle d’un constat fait, elle met en lumière un présent mais n’appelle pas à le bousculer. Elle ne veut pas détruire le mur de la réalité, seulement le recouvrir de lierre ou de chèvrefeuille pour ne plus l’apercevoir avec violence. C’est en tout cas ainsi que je la comprends.

Extraits

Je me réveillai, reposé comme au sortir d’un bain, entrant dans cette journée comme dans une étable chaude. Après le bol de café, je m’assis devant mon poème et lui parlai :

« Tu es poème, quelque chose d’infatigable, de robuste, un appui toujours en sève, un arbre. Ce que je mets dans ta voix, je le porte dans ma chair. Je suis l’homme que tu fais quand tu m’écris, quand se bouclent nos deux ombres. Poème jamais fini dans le sang de ma lecture. Quand je te vois, et dis : est-ce moi plus profondément ? Est-ce toi aussi simple qu’une graine devant un oiseau ? Nous sommes les fiancés de l’homme. »

Je lui posai un sourire dans sa paume et sortis.

*

Le village était loin derrière nous. Nous étions au centre d’un visage en pleurs, gercé de ravines et de flaques. La bruine nous pouffait à la face sa jeunesse malicieuse, fraîche comme un mufle sauvage. Et nos pas se marquaient, l’espace d’un baiser, sur la boue du chemin où floquaient de grosses larmes. C’était piquant et bon, l’haleine fermentée du sous-bois m’envahissait comme une brassée de lavande. La lumière naissait à chaque instant des greffons de la pluie, là éparpillant ses grains, ici crevant comme un piment trop mûr. Même les couleurs désobéissaient, mouillant et tachant leurs robes sur l’humus détrempé. Le froid riait, prolongeant mon corps de sa joie.

Extraits de Le Grainetier - Pierre Mainard éditeur

 

 

***

 

 

L’homme a rentré son bois,

coupé son pain. Ouvert son cahier.

 

Quelque chose attend.

Se creuse en lui.

Se voûte.

 

L’instant se vide.

 

La journée n’a pas été facile.

 

*

 

En regard, ce qui me reste, en

pâture, pour en finir.

Je m’en vais.

Sans rien.

Avec un peu de sable.

Et des fleurs.

 

*

 

Le plus simple ici

lié par l’herbe

tordu par l’ortie

est de brûler

 

de rendre à la voix

ses eaux

son lit.

 

Extraits de Poésies 1978 – 1997 - Pierre Mainard éditeur

 

 

***

 

 

Alors je peux charger le jour sur mon épaule et monter.

Et partir.

Vers la maison de mes mains.

Là-bas

Après le pont, la rue, la place, l’église.

La pierre.

Pierre de chaque instant.

Un mot

          Irréductible.

La vie de chaque jour.

Le passant.

Arrêté. Arraché un instant à son passage.

 

Extrait de Terre - Opales/Pleine Page, 1997 ; Pierre Mainard, 2021

 

 

***

 

 

Demande au veilleur là-haut

sur sa branche

parmi les lucioles

dans la braise des mots

dans le presque rien d’écrire

il sait - lui - l’attardé

que son aujourd’hui

dorsale de l’ailleurs

n’a pas d’autres horizon que sa langue

où l’éclair se dénude

 

*

 

Le domaine de l’érosion

a fait cercle autour du dormeur

lutteur étoilé sorti de son axe

homme cerné d’immédiat

Ô proche

Jumeau de ma langue

 

*

 

Tu sais que toujours

un parmi nous

s’absente

pour habiter sa clarté

sa langue

poète ou manœuvre

convives d’un mot

Illuminé.

 

Extraits de Sur la table inventée - Jacques Brémond éditeur

 

 

***

 

 

Il pourrait s’agir d’autres choses 

d’’une autre écriture 

 

ou de rien. 

 

Une voix quelconque 

venant s’intercaler 

entre l’eau 

et la feuille.

 

Tels sont ici 

les mots. 

 

*

 

Quelqu’un n’est plus

à sa façon

dans le lieu étranger à l’enclos.

 

Non pas qu’il soit mort

mais sa parole

face au vent

 

n’est que vent.

 

Extraits de Entre l’homme et la feuille - Jacques Brémond éditeur

 

 

***

 

 

Que seulement passent les heures. 

Pour les empiler. 

Pour conserver l’interrogation. 

La délivrer des réponses. 

 

*

 

On cherche un habitant qui n’est plus dans la maison. Pourtant, n’est-ce pas lui que l’on aperçoit, 
à l’orée de ce qui est, ne sachant pas où il va, de dos, faisant un signe d’adieu ou de reconnaissance, 
un signe, c’est tout pour les jours passés, pour ceux à venir ?
N’est-ce pas l’homme qui penche, vu de trop loin maintenant, ou trop tard ?

*

3 août .– Aujourd’hui : c’est le mot qui passe par nos mains. Un mot qui dure. Qui s’use lentement. Qui nous efface en devenant mémoire. Il aura fallu au moins six hommes pour le dire. Pour le transplanter. 

C’est ça poser un plancher.

Toute la semaine on va camper autour de ce mot. 

De ce plancher. Rien ne presse.

Extraits de L’homme qui penche - Folio)

 

 

***

 

 

Qu’il n’y plus que quelques gestes. 

Dans un grenier de chagrin.

 

*

 

Il y a forcément dans une rue un homme 

qui parle tout seul. 

Et qui nous regarde.

 

*

 

Ne dis rien. Je t’aime. Le reste n’est que 

l’histoire d’un petit village au bord d’une 

rivière. L’histoire d’un hibou qui nous connait.

Après tant de nuits.

 

*

 

J’ai vidé la page pour que tu puisses entrer.

Pour que tu t’habitues aux couleurs de chaque 

mot.

Assieds-toi près du centre, à côté de ma main.

Demain je n’aurai pas fini.

 

*

 

 Une pierre,

 Un chiffon,

 Un bout de bois suffisent à n’être plus seul 

devant certains mots, à leur trouver un fond

ou une enfance.

 Écrire n’est qu’un toucher.

 Écrire est la petite pièce où je touche tes

mains, la petite pièce que je pose dans ta main.

 

*

 

 Je ne dis rien, je te cueille un épi de lavande,

je prends ta main sous la pluie. On regarde ce 

bout de jardin, les acacias de la colline. C’est tout.

 De ton regard je ramène une constellation.

 

Extraits de Lettres à la bien-aimée - L’Arpenteur édition