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La revue n° 67 poètes de service

poètes de service

Tristan Felix

Tristan Felix a publié plus d’une trentaine de recueils et décline la poésie sur tous les fronts : dessins, photographies, poésie, prose, chroniques, musique, chant, théâtre avec «Le Petit Théâtre des Pendus» (marionnettes d’os et rebuts) et Gove de Crustace (son clone de clowne trash et onirique). Ses trois derniers recueils : « En roue Libre » (12 lettres résistantes, chez Tarmac), « Alerte aux Humains » (photos-poèmes, chez Venus d’Ailleurs), « Exuvies », suivi de « Bêtes d’Augures » (poèmes, chez PhB). Site : www.tristanfelix.fr

 

 

 

La part du désir s’effrite

contre les saillies de roche rouge

Les fleurs de lumière ont étouffé

les abeilles annelées d’or

Chaque pas durcit la boue du voyage

Nous étions partis en étoile

pour éprouver l’étendue folle

Nos épaules portaient une arche d’ambre

Le duvet des louves frémissait de rosée

Les araignées patientaient

dans le tissage des transparences

Les cailloux serraient leur nudité

pour protéger leur coin de terre

Leur sanctuaire saignait en cachette

Nous ne savions plus étancher leur sueur

ni lécher l’ombre des parois

Nous ne savions plus où poser nos épaules

Les gredins de l’Ordre aux faces cartonneuses

aux yeux glauques où circulaient nos débris

finiraient par s’entredévorer

 

 

*

 

 

La pluie couvre la terre

s’est laissée tomber du ciel

s’est flanquée en averse

n’en pouvait plus de décorer les sphères altières

de faire semblant d’être belle à pleurer

Etendue sur la terre en linceul, à peine elle respire

Elle suinte d’une sueur de suaire

Elle se noie dans sa pluie

Elle se dilue dans l’innommable

et le pourrissement des rires

La pluie inonde les yeux des morts

goutte des arêtes osseuses

parfois glisse entre les nervures d’une feuille

Elle y fabrique ses miroirs où se voit

l’envers des rêves figés dans leur cosse

La pluie déchire sa traîne

aux branches enflées de nids

Elle ruisselle de toutes ses rides

La pluie s’évapore en tombant

se charge de vieilles pluies toxiques

Elle remonte au ciel

dans l’épuisement de son déluge

Elle crépite dans l’éclair

Elle s’électrocute

Je prends son jus

 

 

*

 

 

Les enfants portaient leurs cheveux d’ange

entre leurs bras tendus

Cheveux lourds, cheveux légers

de vent, de terre, qui sentaient le brûlé

Cheveux retors à mèches bifides

Ces enfants tête nue avançaient serrés

sous le disque solaire

Ils allaient déposer leur offrande

au pied de la montagne qui bave

Envahie d’elle-même

elle ne sait plus parler

Ses lèvres sur l’éboulis de ses dents tremblent

La montagne lentement pense

en glissant sur ses plis

Elle choisit ses pans de chevelure

pour s’iriser dans les nues

et confondre les herbes

Les enfants s’en repartent heureux, chancelants

Leurs cheveux repoussent déjà le ciel

 

 

*

 

 

Les araignées ont le sommeil léger

se rayent le ventre de lais de lune

flottent au milieu de leur toile

le nombril épinglé dans le vide

Elles savent ne plus tendre que des fils

gouttelés d’un sérum de rêve

Leur pensée remonte la sève des bois

jusqu’aux patients nuages

qui pleurent de n’en pouvoir plus

Qui sait encore où ils ont craqué

à quels désirs noirs ont cédé ?

Les araignées parfois retiennent

au bout de leurs doigts agités

une facétie sans nom qui danse

contre le vent toute une vie

tout un opéra bouffe

dans un décor de soufre

Il suffirait d’une allumette

Ces poèmes sont extraits d’un recueil en attente de publication chez Tarmac (2026) et intitulé Averse de rage.