poètes de service
Tristan Felix
Tristan Felix a publié plus d’une trentaine de recueils et décline la poésie sur tous les fronts : dessins, photographies, poésie, prose, chroniques, musique, chant, théâtre avec «Le Petit Théâtre des Pendus» (marionnettes d’os et rebuts) et Gove de Crustace (son clone de clowne trash et onirique). Ses trois derniers recueils : « En roue Libre » (12 lettres résistantes, chez Tarmac), « Alerte aux Humains » (photos-poèmes, chez Venus d’Ailleurs), « Exuvies », suivi de « Bêtes d’Augures » (poèmes, chez PhB). Site : www.tristanfelix.fr
La part du désir s’effrite
contre les saillies de roche rouge
Les fleurs de lumière ont étouffé
les abeilles annelées d’or
Chaque pas durcit la boue du voyage
Nous étions partis en étoile
pour éprouver l’étendue folle
Nos épaules portaient une arche d’ambre
Le duvet des louves frémissait de rosée
Les araignées patientaient
dans le tissage des transparences
Les cailloux serraient leur nudité
pour protéger leur coin de terre
Leur sanctuaire saignait en cachette
Nous ne savions plus étancher leur sueur
ni lécher l’ombre des parois
Nous ne savions plus où poser nos épaules
Les gredins de l’Ordre aux faces cartonneuses
aux yeux glauques où circulaient nos débris
finiraient par s’entredévorer
*
La pluie couvre la terre
s’est laissée tomber du ciel
s’est flanquée en averse
n’en pouvait plus de décorer les sphères altières
de faire semblant d’être belle à pleurer
Etendue sur la terre en linceul, à peine elle respire
Elle suinte d’une sueur de suaire
Elle se noie dans sa pluie
Elle se dilue dans l’innommable
et le pourrissement des rires
La pluie inonde les yeux des morts
goutte des arêtes osseuses
parfois glisse entre les nervures d’une feuille
Elle y fabrique ses miroirs où se voit
l’envers des rêves figés dans leur cosse
La pluie déchire sa traîne
aux branches enflées de nids
Elle ruisselle de toutes ses rides
La pluie s’évapore en tombant
se charge de vieilles pluies toxiques
Elle remonte au ciel
dans l’épuisement de son déluge
Elle crépite dans l’éclair
Elle s’électrocute
Je prends son jus
*
Les enfants portaient leurs cheveux d’ange
entre leurs bras tendus
Cheveux lourds, cheveux légers
de vent, de terre, qui sentaient le brûlé
Cheveux retors à mèches bifides
Ces enfants tête nue avançaient serrés
sous le disque solaire
Ils allaient déposer leur offrande
au pied de la montagne qui bave
Envahie d’elle-même
elle ne sait plus parler
Ses lèvres sur l’éboulis de ses dents tremblent
La montagne lentement pense
en glissant sur ses plis
Elle choisit ses pans de chevelure
pour s’iriser dans les nues
et confondre les herbes
Les enfants s’en repartent heureux, chancelants
Leurs cheveux repoussent déjà le ciel
*
Les araignées ont le sommeil léger
se rayent le ventre de lais de lune
flottent au milieu de leur toile
le nombril épinglé dans le vide
Elles savent ne plus tendre que des fils
gouttelés d’un sérum de rêve
Leur pensée remonte la sève des bois
jusqu’aux patients nuages
qui pleurent de n’en pouvoir plus
Qui sait encore où ils ont craqué
à quels désirs noirs ont cédé ?
Les araignées parfois retiennent
au bout de leurs doigts agités
une facétie sans nom qui danse
contre le vent toute une vie
tout un opéra bouffe
dans un décor de soufre
Il suffirait d’une allumette
Ces poèmes sont extraits d’un recueil en attente de publication chez Tarmac (2026) et intitulé Averse de rage.