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La revue n° 60 Notes de...

Notes de...

Constantin Pricop

La poésie paresseuse

Ce syntagme - « poésie paresseuse » - a été élaboré dans les années vingt par un poète roumain, Ion Barbu. L’auteur, de son vrai nom Dan Barbilian, a été aussi, on dit, un grand mathématicien. Mais, au-delà de la mathématique, il est toujours mentionné parmi les trois, quatre grands poètes roumains de l’époque d’entre les deux guerres mondiales. Vers la fi n de sa carrière littéraire il est devenu un partisan des couleurs vives du Levant, après avoir pratiqué, dans sa jeunesse, une poésie hermétique et rigoureuse dans la ligne de Mallarmé ou Valéry.

J’ai retenu depuis longtemps, plus exactement depuis mes premières lectures littéraires, ce mot, « poésie paresseuse »... Et, je me rends compte, il a... dirigé, au moins dans une certaine mesure, ma vision sur la poésie.

Alors, que veut dire ce mot, « poésie paresseuse » ?

Simplement, le fait que la poésie peut elle aussi être paresseuse...

La poésie de ce... « genre » n’a pas d’ambitions, elle ne fait pas d’efforts, elle se contente de ce qu’elle trouve, c’est à dire des clichés, des déjà dits par les autres, des images et des idées déjà... mastiquées...

Elle veut, au plus, suggérer un vague et inoffensif air... sentimental et elle confond le sentimental avec le poétique.

Ou elle nous propose, dans les meilleurs des cas, de... belles images... des images... « convenables » ... qui ne choquent pas, qui se sont fanées tout de suite après qu’elles se sont indiquées elles mêmes avec le doigt... comme poésie.

Et, pour tout dire, les plus talentueux des auteurs de la poésie paresseuse, écrivent comme une litanie incontinente, qui s’alimente (comme toute plante parasite) de l’élégance du style, d’une certaine idée qu’on se fait d’habitude sur le bon esprit de ce qui est bien écrit... Le fait d’atteindre la monotonie sonore de la poésie de Saint John Perse, par exemple, c’est l’idéal bien aimé de ce genre poétique...

Mais ça, j’entends les répliques, c’est déjà pas mal, ce n’est pas à la disposition de chacun de construire des petits textes poétiques, même sans grande portée...

Oui, bien sûr, et comme ça les choses deviennent plus compliquées, parce qu’un mérite si lymphatique a tendance à nous obstruer l’image de la poésie saine. La signifi cation de la poésie, je le crois toujours, est loin de fl atter la tiédeur, la platitude du lecteur médiocre...

Mais, en l’occurrence, c’est quoi l’autre genre de poésie, celle qui n’est pas paresseuse?

Ion Barbu ne parle pas de celle-là, mais on peut aisément l’imaginer.

C’est la poésie de ceux à jamais contents - mécontents d’eux mêmes, dans la même mesure que mécontents du monde. La poésie de ceux qui cherchent toujours, qui se sont mis dans un état de guerre ininterrompue avec la banalité, avec la stupidité... contente d’elle, bien sûr...

C’est parce que ce genre de poésie existe qu’on peut parler de « la recherche » représentée par la poésie, du sentiment d’entrer dans un nouveau monde que suggère la bonne littérature... Un tel genre de poésie doit se battre avec toutes les commodités, avec la littérature qui n’est qu’un passe-temps.

Cette conclusion m’a fait écrire il y a quelque temps un petit texte poétique dans lequel j’ai comparé la poésie à un fusil et l’impact de la poésie à celui d’une balle de fusil. Non, je ne suis pas du tout pour la violence, tout au contraire, mais la poésie doit avoir cette... liberté...

La poésie ne doit pas laisser le lecteur tranquille... il faut ébranler sa somnolence... L’art peut lui révéler les cimes et les profondeurs du monde... Mais pour ça il faut secouer sa routine... Je le reconnais : pour beaucoup de gens, ça c’est trop... Mais je n’ai pas dit que la poésie c’est facile, qu’elle soit chose commune ou un simple hobby...