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blanche

La revue n° 60 Notes de...

Notes de...

Tom Saja

Le dernier des animaux

A la Jim

J’avais cent mille ans dans les chaussettes quand j’ai décidé de m’éteindre. Le soleil avait la même température mais l’eau n’avait plus le gout de l’eau. Maman m’a dit cent mille c’est pas trop mal fils . La prairie est un parking et les parcs sont des parkings. Ne m’en veux pas pour cette corde au cou. Ne chante pas notre sérénade préférée. J’attends l’état des lieux. J’attends qu’on ne me rende pas la caution. Le corbeau sur la barrière est le même que dans mes rêves. Quand il n’y aura plus d’animaux l’herbe recouvrira le béton car l’un des deux vit, l’autre n’est qu’une blessure, il restera à peu près tout et les tableaux de Van Gogh. Plus d’oreilles pour Wolfgang, plus de papilles pour le fromage et les bloody Mary. J’aime cette terre même après que je serai parti. J’ai laissé les clefs sur la serrure comme le propriétaire me l’avait demandé. Il rangera sa balle bleue dans la poche, demandera où est passé le vert. Haussement d’épaules. Maman s’allume une clope dans la pénombre, dur de se barrer du paradis. Tricard de l’univers. Ma tête coupée repoussera au printemps prochain. Corps mortel, âme mortelle. Pas de repos éternel. Je ne dors pas de ce pain-là.

 

 

Certains l’aiment chaude

Je me demande la température de la mort. Parce que si c’est le dix-neuf recommandé ça risque d’être juste pour moi. Il y a quelques années j’aurai soufflé, fait le malin et signé pour moins que cela, mais je deviens frileux avec l’âge. Les pieds de ma femme qui me frôlent sous la couette peuvent me donner un rhume carabiné pendant des semaines. Je n’y comprends rien. Pourtant si je grossis avec le temps, c’est que je m’isole plus, non ? Rien n’y fait, je dois tourner à trois couches quand je suis sur la méridienne, l’ordinateur portable sur les genoux, à écrire mes petites chroniques au goût de bouse. Et avec le plaid déplié sur toute la longueur des membres inférieurs s’il vous plait. Papito me dit mon grand-père. Il se fume des grandes clopes derrière la baie vitrée alors qu’il fait moins deux dehors et il se marre à me pointer de sa cigarette en train de me les cailler sur le canapé. Je jurerai qu’il me fait des doigts quand je ne le regarde pas. Il rentre avec des flocons sur les épaules et dans les cheveux on dirait des pellicules géantes, lâche un pet bruyant, ricane et va se servir un double whisky sans m’en proposer un.

— Tu crois qu’elle a quelle température la mort papi ?

— Elle a intérêt à pas être frileuse parce que moi je suis chaud bouillant.