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La revue n° 60 Notes de...

Notes de...

Jérôme Fortin

Le wokisme, la chasse et le vent des carottes

On ne cherchera pas ici à vous faire la morale ; on aura amplement le temps de se morfondre dans le silence de nos tombes. Et les wokistes sont eux-mêmes à blâmer pour les fourberies qu’ils n’ont pas encore réussi à déconstruire. Leur silence est parfois assourdissant ; ils savent se montrer prudents et eux aussi aiment se blottir dans la chaleur sécurisante de leur petit troupeau. Pas beaucoup de protestataires au sein des protestataires. On fait bloc, en se croyant du côté de la raison et du progrès. Quand ils auront enfin réussi à tout détricoter (s’ils y arrivent) plusieurs de ces individus moralement supérieurs rougiront comme des pivoines des abominations qu’ils trouveront dans les replis de leurs propres consciences. Enfin... en supposant qu’ils arrivent à se déboulonner eux-mêmes de leurs piédestaux. Le délinquant sexuel est un monstre bien plus facile à abattre que son propre égo. Je suis pourtant un adepte de la déconstruction, telle que l’entendaient Heidegger et Derrida.

Et pourtant. Ce ne sont pas ces wokistes qui ont inventé l’indignation ; ils ne font que la verbaliser au crayon gras et en portant souvent des Doc Martens* (d’ailleurs pas véganes la plupart du temps - bien qu’ils semblent enfin vouloir troquer les vieux Vespas à quatre temps pour le Yego électrique). C’est la rogne, parfois un peu incohérente, de la jeunesse en feu et ivre d’elle-même, et qui en soi est saine, et qui énervera toujours les vieux qui sont vieux et les jeunes qui ont hâte de l’être. Et qui, parfois aussi, énervera les esprits pratiques qui ont décidé, et c’est leur choix, de restreindre leur espace de réflexion aux trois dimensions d’une boîte de Corn Flake.

L’indignation, et la capacité de froncer les sourcils, sont des facultés humaines bien antérieures à Greta Thunberg et tous les #metoo de nos méandres sociaux. Or, à l’exception peut-être de certaines situations très polaires où l’alimentation carnée est sans alternative viable, la chasse est réellement une chose dégueulasse qui, depuis des générations, écœure bien des bonhommes et des bonnes femmes. Un soi-disant «sport», et quoi encore ? Une activité récréative qui consiste à tuer des animaux qu’on prétend aimer ? De toutes les schizophrénies sublunaires, la chasse récréative est certainement une des plus hallucinées. Je me souviens avoir vu, à la télévision canadienne, un chasseur caressant le cadavre encore chaud du chevreuil qu’il venait tout juste d’abattre - visiblement très ému par la splendeur de son pelage et de ses bois caducs. Ce programme de télévision, comme tous les programmes de chasse et de pêche, se réclamait bien sûr de l’écologie et de la protection de l’environnement (voire du bien-être animal). On comprend dans la mesure où assassiner un chevreuil au milieu d’un stationnement serait moins amusant que dans une futaie.

Ces chasseurs nous diront certainement que c’est mieux de tuer soi-même son gibier que d’acheter sa viande chez Auchan. Certes, et on pourrait tout aussi bien répondre que c’est encore mieux d’acheter (ou cultiver) des gourganes, des pois chiches, des haricots et des topinambours. Et, au fond, là n’est pas la question. La question est : comment peut-on ressentir le moindre plaisir à tuer un animal qui ne nous menace pas, si ce n’est que par pur sadisme ou lâcheté ? Je ne goberai jamais ces simulacres de raisons.

Ah oui, c’est vrai, et j’oubliais... les carottes ça pète aussi, comme aiment tant nous le rappeler les plus scientifiques de ces giboyeurs. Et, comme on l’a vu récemment, il est de bon ton de nos jours d’être «du côté de la science», surtout celle qui nous arrange et nous déculpabilise.

* J’en possède moi-même deux paires