La
page
blanche

La revue n° 64 Notes de...

Notes de...

Matthieu Lorin

Souvenir de lecture
Emmanuel Bove

Il n’arpente les chemins que du bout des pieds. Il cloue ses espoirs sur les portes avec des pointes « têtes d’homme » à qui il donne cent et un prénoms pour peu qu’on lui laisse l’occasion de s’en faire des amis.
Ils peuvent même l’attaquer au visage, s’ils le souhaitent.
L’usure de son regard est telle que ses yeux découvrent la réalité sans aucune zone intermédiaire, comme la roue du vélo frotte l’acier du patin lorsque le caoutchouc a disparu.
Autour de lui, on attaque à l’acide ses émotions faciles, on réduit ses souvenirs à du verre pilé. Lui s’agenouille et ramasse consciencieusement tous les morceaux, pour que personne ne se blesse :
Victor Bâton est à tout jamais un obus désamorcé.


L’extrait

Un homme comme, moi qui ne travaille pas, qui ne veut pas travailler, sera toujours détesté. J’étais, dans cette maison d’ouvriers, le fou, qu’au fond, tous auraient voulu être. J’étais celui qui se privait de viande, de cinéma, de laine, pour être libre. J’étais celui qui, sans le vouloir, rappelait chaque jour aux gens leur condition misérable.
On ne m’a pas pardonné d’être libre et de ne point redouter la misère.

Emmanuel Bove, Mes amis