La
page
blanche

La revue n° 64 poètes de service

poètes de service

Romain Frezzato

Romain Frezzato a publié en octobre 2023 un premier recueil aux éditions de la Crypte intitulé COMME UN DAVID AUX TESTICULES TOMBÉS. Un autre verra le jour à l’Atelier Contemporain, courant 2024, sous le nom de MONDE MINIME. Il fait paraître des textes en revues (Triages, Rehauts, Place de la Sorbonne, Lichen, Cuni Lingus, etc.) et contribue régulièrement à Poesibao par des recensions d’ouvrages poétiques.

 

De parmi les barbares

Tu m’as donné ce droit d’accès : le nez les yeux l’iris la bouche ; même le dessin de tes sourcils, / tu m’as offert : de témoigner de mon vivant de la réalité de ça : tes mâchoires tes dents ; / jusqu’au détail des pommettes, jusqu’au rose des pigments – longueur des cils : ok ; / l’arrondi de ça le vertigineux : auquel tu m’obliges, pupilles canines oreilles :

ok, la courbe des joues l’arc des paupières la déclivité générale de cette tête : d’accord ; / d’accord aussi : la langue les lobes ; d’accord le front d’accord : la symétrie profil droit profil gauche / et quand tu joins tout ça par la couture du nez : d’accord ; d’accord : le cou le menton les commissures les pores ; / d’accord : tes lèvres qui s’écartent au passage de l’air de l’eau de moi ; d’accord : les veines sur tes tempes,

le sang derrière la boîte et tes pensées qui font : comme des vagues sous la peau ; / l’hystérisation de tes clavicules, l’escalade sur ta colonne des paroles sans poignets, / ok d’accord tes aréoles puis le bûcher ta poitrine, de ton pubis les poils

qui te remontent jusqu’au nom du nombril, la brioche de ta panse (sertie, ta vulve / en pente douce qui s’équilibre : dans l’idée de happer et le désir de bruire) ! / Tu m’as donné accès à ça – aussi durable que l’évocation que j’en fais, aussi long que les mots :
              OK1.

 

1 Quand je serai habitué : à la façon dont tes chevilles relient tes jambes à tes pieds ; quand j’aurai : / perdu la coutume de ta danse sous la douche et de tes orteils qui me coupent / la respiration, quand ça n’aura plus de mystère tes narines ta langue tes oreilles percées, / tes ongles, gobés, tes bleus, le sang : au pourtour de ta vulve ;

quand les énigmes des morves ne seront plus mouchées et les pointes émoussées / de tes poils, quand ne seront plus ravalées les salives du c’était quoi / ÇA – ? – ça venait d’où ça – ? – c’était si bien – ? – et quand je me trompais / sur ta personne, le nom de l’être qui dégouline à mesure que tu frappes

ton sexe, le périnée enduit d’un flux d’aucun homme craché, mes jambes / écartées pour que passe du bas-texte le latex compact, mais bien évidemment / il y a tes sphincters, et la surprise toujours intacte du chapeau prestigieux ;

quand j’aurai désappris les protocoles de rapprochement, la versatilité des indices corporels, / quand il ne restera que les notifications d’une bouche ouverte au dis-moi quoi, alors seulement commencera / l’amour et avec lui : les précipitations, l’intégrité de ta personne. Dessous : la paupière haute.
              Dessus : la paupière basse.

(extrait d’un recueil en cours)

 

 

Quelques réflexions sur l’esthétique de Jean Rustin

Frénésie figurative. Boulimie d’huile et d’acrylique. D’abord hébété par les postures des gisants de Rustin. L’organité de l’ensemble. Corps vaguement bedonnants. Avec sous la panse les sexes. Leur trituration. Ou le simple empaumement. Précision des prépuces et des glands. Prise de conscience d’un coup de la tripe qui nous fait. Se pose le problème de la possibilité d’une représentation pénienne. D’une figuration vulvaire. Flacidité des formes. Rouge aperture des lèvres. Pourtours et pigments. Vaginalité de toutes. Vaginalité de tous. Figurations du trou : narines. Figurations du trou : les yeux. Figurations du trou : nombril. Fond noir, fond bleu : vagin, aussi ? Beauté des mains peintes. Perfection du contour. Verges impeccables et tristes. Les étalages, les poses, les accroupissements. Affleure le vulnérable. Impossible de ne pas s’attrister de ces têtes. L’hagard, le perclus. Flaccidité de tout, même des ombres. Les fesses : des poches. Et toutes les stations disent la chute. Tristesse de ces bites, de ces peaux. Je note : la récurrence des boîtes électriques, des interrupteurs, des prises, des portes donnant sur des couloirs, du retroussage des pantalons. Et cette acrylique glaçante. Parfois, l’œil oscille, entre innocence et coulpe. Me passionnent ces mains qui fourragent des sexes, ces paumes, ce pileux des structures. Et l’émotion de ce pénis contrit entre les cuisses d’un reste d’homme. Avec malgré tout l’androgynie totale. L’incapacité d’attribuer un genre, malgré l’organe, le spectacle qu’on s’en fait. Viscère scrupuleux de ça. Ce quasi sang, aussi. Reste simiesque dans le bas de la face. Bien sûr : les parois et les sols. Les ombres qui se déréalisent. Tabourets juchés sur l’absence. Magnanimité des fronts. Là se brouillent des mimiques, là l’arcade mise au net. Le néant qui s’immisce dans un trou de narine, dans une bouche qu’on jurerait baveuse. Et l’empathie qu’il faut pour s’emparer de ces viandes dépourvues. Jusqu’à la tignasse. Jusqu’aux dents. Jusqu’aux proportions. Flaccidité d’existences livrée pour nous dans la plus complète nudité. Et la bienveillance de cet œil de peintre qui nous dit ça, le montre. Puissance de cette lumière. Douceur de cette lumière. Humanité de cette lumière qui donne sur le fini des chairs, qui donne sur l’ombre, non pas découpé par l’être mais qui s’attèle à : la découpe brutale de ça.