Notes de...
Tom Saja
On ne se demande jamais où vont nos décors. Nos décors d’enfance, nos décors d’amours et de mort. Qui range ? Qui replie les strapontins en mal de graisse, ramasse les programmes bazardés et balaie l’allée ? Qui éteint la lumière du cirque sapiens ?
La mémoire, ce coupe-ongle cosmique et comique, rabote ce qui tend à s’étoffer, là, dans le jus du passé. Elle coupe si bien et si souvent qu’il ne reste plus qu’un moignon, stèle batarde d’un fantôme de ce qui a marqué jadis. L’on mange sa soupe et dansent entre les croutons à l’ail nos molaires aux racines vaillantes d’antan. Mais la mémoire n’est que l’archivage des sensations.
Qui donc était là ? Qui pour voir le sang des genoux sur le goudron de l’été ? Les larmes à la perte d’un chat ? Qui pour soupirer quand le bus scolaire passe malgré l’espoir d’une journée sans classe quand tombent les premiers flocons ? Qui pour rougir devant nos baisers maladroits, nos premières hontes, ces plateaux repas qui se renversent devant le bahut entier à la cantine, ces poésies bafouillées devant les camarades. Qui porte le regret, des amitiés perdus, des rencards gâchés, des papillons qui pètent en grenade dans le bide à cause d’un regard. Qui charpente l’éternelle mélancolie, l’anneau invisible de la nostalgie que l’on porte malgré soi tel un animal bagué. Qui nous gueule les fou rires, les liesses rarissimes, les microsecondes héroïques qui fondent plus que bien des années ?
Qui tient les rênes, qui tire les rênes, qui joue avec la gravité des astres et des désastres ?
Qui tient la salière de nos vies ?