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blanche

La revue n° 66 Séquences

Séquences

Philippe Blondeau

Il dit je me souviens

d’une auberge de campagne dans les bois

 

on y dansait – ou bien peut-être non –

des corps simplement se frôlaient

 

le soir flottait tout autour

comme un chapiteau de velours

 

des couples lentement marchaient

devisaient dans les fûts des pins

 

la musique – c’étaient des cors –

épelait une valse lente

 

il dit j’étais alors

comme un autre mais qu’importe

 

mes souvenirs aussi sont d’un autre

 

*

 

Le jeune homme longe un mur pâle

s’exaltant d’être enfin aimé

 

une fin de soleil balaie la rue vide

le moindre passant est ami ou complice

 

même un chien glissant dans l’ombre

est probable comme un signe

 

il suffit de si peu pour arrêter le monde

en équilibre pour un instant ou une vie

 

entre le passé qui ne compte plus

et le futur de tous les possibles

 

toute ville a ainsi son mur

frappé d’un amour naissant

 

une cloche marquant l’heure

 

*

 

La bête ne sait pas qu’elle meurt

et sa souffrance semble pure

 

s’étonne-t-elle malgré tout

comme nous de se souvenir ?

 

et nous qui ne souffrons qu’à peine

mais savons le prix du néant

 

nous avons perdu l’innocence

de tout simplement disparaitre

 

quand les insectes de la terre

poursuivent leurs voies routinières

 

dans les manœuvres des racines

aux stratégies incontournables

 

et aux raisons élémentaires

 

*

 

L’éclat jaune d’un cycliste qui redescend

réveille un chien mollement

 

sa maitresse du jardin d’en bas l’appelle

d’une voix trop forte dans le silence qui dure

 

un chemin de pierre qui s’élève

rêve déjà au chaud du soleil

 

on ne passe ici ; on y vient

les promeneurs sont rares

 

la journée promet

des camps d’oiseaux dans les vignes

 

plus tard dans la nuit on entendra

un âne qui s’ennuie

 

rien n’aura eu lieu que le temps