Séquences
Philippe Blondeau
Il dit je me souviens
d’une auberge de campagne dans les bois
on y dansait – ou bien peut-être non –
des corps simplement se frôlaient
le soir flottait tout autour
comme un chapiteau de velours
des couples lentement marchaient
devisaient dans les fûts des pins
la musique – c’étaient des cors –
épelait une valse lente
il dit j’étais alors
comme un autre mais qu’importe
mes souvenirs aussi sont d’un autre
*
Le jeune homme longe un mur pâle
s’exaltant d’être enfin aimé
une fin de soleil balaie la rue vide
le moindre passant est ami ou complice
même un chien glissant dans l’ombre
est probable comme un signe
il suffit de si peu pour arrêter le monde
en équilibre pour un instant ou une vie
entre le passé qui ne compte plus
et le futur de tous les possibles
toute ville a ainsi son mur
frappé d’un amour naissant
une cloche marquant l’heure
*
La bête ne sait pas qu’elle meurt
et sa souffrance semble pure
s’étonne-t-elle malgré tout
comme nous de se souvenir ?
et nous qui ne souffrons qu’à peine
mais savons le prix du néant
nous avons perdu l’innocence
de tout simplement disparaitre
quand les insectes de la terre
poursuivent leurs voies routinières
dans les manœuvres des racines
aux stratégies incontournables
et aux raisons élémentaires
*
L’éclat jaune d’un cycliste qui redescend
réveille un chien mollement
sa maitresse du jardin d’en bas l’appelle
d’une voix trop forte dans le silence qui dure
un chemin de pierre qui s’élève
rêve déjà au chaud du soleil
on ne passe ici ; on y vient
les promeneurs sont rares
la journée promet
des camps d’oiseaux dans les vignes
plus tard dans la nuit on entendra
un âne qui s’ennuie
rien n’aura eu lieu que le temps