La
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blanche

La revue n° 66 Pièces

Pièces

Une date

Traversant les collines

et les œuvres complètes des Beatles

au volant d’une allemande baptisée Divina, 

sœur de Ginger et de Rita,

toutes danseuses et héritières

de ma manie de donner des noms 

à tout ce que je crois posséder,

sur la route où je trace un chemin

et des lignes

en pensant à ces danseuses à quatre roues

à qui je donne presque toujours

des noms de femmes aux longues jambes,

j’écoute cette chanson

aux paroles obsessionnelles

— I want you —

entre deux cours d’italien

pris à la volée

— Voglio te —

depuis un livre et un CD,

l’un au lit et l’autre au volant,

ce morceau en anglais et sa ligne de basse

qui emporte avec elle

orgues, guitares et batterie,

pour s’épancher sur trois longues minutes

dans ma poitrine

formant en boucle des anneaux

qui s’entrecroisent,

dessinent un grand huit

en enfonçant

un peu plus

le clou

à chaque intersection

dans mon plexus.

 

Je pense à ces paroles

— She’s so heavy —

et à elle, si pesante et puissante,

cette lourdeur exceptionnelle

dans ma poitrine,

cette douleur 

qui revient chaque année

à la même date

et qui résonne un peu plus fort

depuis ce matin

en ce jour du 24 février 2024.

 

Je pense à elle

et à toi qui es si loin,

elle si forte,

aussi pesante et exceptionnelle

que tu es léger,

inaccessible et abstrait,

vieux fantôme à jamais jeune,

en ce jour de fièvre

de février

où tu fêtes encore

éternellement

tes 24 ans.

 

J’ai aujourd’hui et pour une année

le double de ton âge

une année seulement

pour jouer à inverser les rôles

en parfaite symétrie

moi qui pourrais être ta mère

mon enfant.

 

Jambes posées

à l’intérieur de celles de Divina

que j’écoute danser 

et jouer des claquettes

au rythme du bruit blanc

de l’orgue de Georges

et des cymbales de Ringo

sur les tout derniers riff de John

avant la fatidique seconde où Paul, 

comme à chaque passage depuis 1969,

coupera le son à 7 minutes 44

de cette chanson obsessionnelle

adressée à Yoko,

je vois flotter des chiffres entre les collines,

sur la route où je trace un chemin

depuis 48 ans,

pensant à toi qui en as 24 aujourd’hui

et pour longtemps encore

en ce jour du 24 février 2024

où j’écris cette 24e chronique.

Mélanie Cessiecq-Duprat