Pièces
Une date
Traversant les collines
et les œuvres complètes des Beatles
au volant d’une allemande baptisée Divina,
sœur de Ginger et de Rita,
toutes danseuses et héritières
de ma manie de donner des noms
à tout ce que je crois posséder,
sur la route où je trace un chemin
et des lignes
en pensant à ces danseuses à quatre roues
à qui je donne presque toujours
des noms de femmes aux longues jambes,
j’écoute cette chanson
aux paroles obsessionnelles
— I want you —
entre deux cours d’italien
pris à la volée
— Voglio te —
depuis un livre et un CD,
l’un au lit et l’autre au volant,
ce morceau en anglais et sa ligne de basse
qui emporte avec elle
orgues, guitares et batterie,
pour s’épancher sur trois longues minutes
dans ma poitrine
formant en boucle des anneaux
qui s’entrecroisent,
dessinent un grand huit
en enfonçant
un peu plus
le clou
à chaque intersection
dans mon plexus.
Je pense à ces paroles
— She’s so heavy —
et à elle, si pesante et puissante,
cette lourdeur exceptionnelle
dans ma poitrine,
cette douleur
qui revient chaque année
à la même date
et qui résonne un peu plus fort
depuis ce matin
en ce jour du 24 février 2024.
Je pense à elle
et à toi qui es si loin,
elle si forte,
aussi pesante et exceptionnelle
que tu es léger,
inaccessible et abstrait,
vieux fantôme à jamais jeune,
en ce jour de fièvre
de février
où tu fêtes encore
éternellement
tes 24 ans.
J’ai aujourd’hui et pour une année
le double de ton âge
une année seulement
pour jouer à inverser les rôles
en parfaite symétrie
moi qui pourrais être ta mère
mon enfant.
Jambes posées
à l’intérieur de celles de Divina
que j’écoute danser
et jouer des claquettes
au rythme du bruit blanc
de l’orgue de Georges
et des cymbales de Ringo
sur les tout derniers riff de John
avant la fatidique seconde où Paul,
comme à chaque passage depuis 1969,
coupera le son à 7 minutes 44
de cette chanson obsessionnelle
adressée à Yoko,
je vois flotter des chiffres entre les collines,
sur la route où je trace un chemin
depuis 48 ans,
pensant à toi qui en as 24 aujourd’hui
et pour longtemps encore
en ce jour du 24 février 2024
où j’écris cette 24e chronique.
Mélanie Cessiecq-Duprat