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blanche

La revue n° 66 poètes du monde

poètes du monde

PÂLE

Je suis le solitaire des places désertes
Aux tristes réverbères à la lumière pâle - 
Quand le bronze résonne dans une nuit totale,
Je suis le solitaire des places désertes.

J’ai pour compagnons le rire hideux et l’ombre
Qui affolent les chiens errants dans les caniveaux;
Sous les tristes réverbères, aux pâles anneaux,
J’ai pour compagnons le rire hideux et l’ombre.

Je suis le solitaire des places désertes
Aux ombres dansantes, infusant la folie;
Pâlissant dans le silence et la paralysie - 
Je suis le solitaire des places désertes… 

Georges Bacovia
Poèmes extraits de Plomb (1881-1957)
Edituro Paralela 45
Traduction du roumain par Odile Serre

 

 

 

Tout venant

Les merveilleux galets

dans l’eau transparente du torrent

voici qu’au creux de ma paume le vent

en les séchant en a déjà terni les couleurs

ainsi les choses que l’on veut saisir

parfois misérablement s’éteignent

Jean-Pierre Chambon
Tout venant  - Héros-limite Éditions

 

 

 

Le chiffre

L’amitié silencieuse de la lune
( je cite mal Virgile) t’accompagne
depuis, cette nuit, aujourd’hui perdue
dans le temps, cette soirée où tes yeux
vagues l’ont déchiffrée pour toujours dans
un jardin, un patio qui sont poussière.
Pour toujours ? Je sais qu’une fois quelqu’un
pourra te dire en toute vérité :
Tu ne verras plus la lune claire.
Tu viens d’épuiser la somme des chances
que t’accorde le destin. Inutile
d’ouvrir toutes les fenêtres du monde.
Il est tard. Tu ne la trouveras plus.
Nous vivons découvrant et oubliant
cette douce coutume de la nuit.
Regarde. C’est peut-être la dernière.

J.L Borges

 

 

 

Sur le Rhin

le pont entre la ville allemande Breisach

et sa vieille ennemie française au nom d’écho 

Neuf-Brisach,

crie tellement de soleil qu’on oublie, en le traversant 

les siècles de canons et de bombes.

 

Les meules de foin roulent sous la gloire du soleil, tout

  dit la joie du ciel dans une étourdissante immobilité,

 

Le langage cesse de clabauder la haine, il se tient là

  parmi les ombres apaisées, 

un homme, une femme s’endorment à deux, le long de 

  la douceur de leur peau.

 

Pourquoi pas cette minute, pourquoi pas la paix,

  pourquoi pas nous ?

Marie-Claire Bancquart
Terre énergumène et autres poèmes, Poésie Gallimard.