Notules
L’écriture d’un journal
L’écriture d’un journal est la seule pratique à laquelle je m’efforce toujours de revenir, aussi longues mes « absences » puissent-elles être. C’est le « fond », le « sol », le « refuge », le « laboratoire ». C’est-là dessus que je m’appuie, c’est ici que tout s’élabore. Le « pays natal » : mes pas m’y ramènent toujours à un moment ou un autre. C’est la forme d’écriture sur laquelle il me semble que j’aie le plus « la main ». Forme immédiate, fragmentaire, intimiste. Forme à mes yeux la plus proche de la vie, la moins travaillée en somme ; la plus paresseuse, la plus brouillonne, la plus sauvage aussi — presque un « art brut ». Peut-être la plus « honnête », s’il fallait chercher à la défendre contre une autre. J’ai du mal à croire à mes personnages, à mes intrigues, à mes poèmes. La seule chose à laquelle je crois fermement du point de vue de l’écriture est l’expérience intime qu’éprouve ma conscience : ce qui la nourrit, ce qui l’obsède, ce qui mature en elle. C’est la seule chose sur laquelle mon écriture puisse s’appuyer sans trembler, à mon grand désarroi d’ailleurs, car c’est sans doute, quand il s’agit de la livrer à autrui, la plus impudique des formes — et moi qui suis d’un naturel si secret… Mais peut-être est-ce là le prix de toute écriture véritable, du moins véritable pour celui qui s’y plie : nous forcer à nous mettre en lumière, nous faire passer par l’épreuve de ce à quoi nous préfèrerions échapper, aller à l’encontre de nos penchants, « mettre sa peau sur la table », comme dirait Céline, ou tendre à n’être plus qu’un homme « qui dit oui », comme l’écrivait Nietzsche.
Clément Paulin
Extrait de Festina Lente