poètes de service
Laetitia Secq
Laetitia Secq est une jeune plume de 49 ans, amoureuse des mots et des livres depuis la tendre enfance. Elle a publié le roman « Toutes les mers sont nomades » en 2021 chez Amok et les recueils de poésie « Jusqu’à ce que vie s’en suive » en 2023 chez Iggy Book et « Exhalaisons » en 2024 chez Poésie.io. Le reste de son temps, elle est professeure des écoles et graphothérapeute dans un tout petit village de l’Aude.
le portrait de dorian gray
dorian gray il l’a vue la première fois
elle allait à grandes enjambées entre les valises et les mots dans le haut-parleur elle laissait déjà de la poussière sur son passage mais il n’avait pas regardé
le verso brûlé elle avait belle allure la nuque droite la bouche tendre
ses yeux de la couleur du brouillard qui aurait pu voir au travers ?
ont commencé les secousses de soubresauts en convulsions elle l’a mutilé
elle a gratté son front sans pudeur jusqu’à l’os elle ricanait de la trépanation la misérable connasse elle dansait dans les hôtels et jouait à colin-maillard mais quand le dernier train est passé il est monté en première classe et
a laissé sur le quai le portrait de dorian gray
la lande
je marche sur la lande
je cherche une pierre aux angles marqués point trop lourde
de celles qui peuvent fendre une tempe dans un mouvement poétique
sans prendre véritablement d’élan deux entrechats un tour piqué
et frapper sur une arabesque le vent souffle affranchi
rien pour le contraindre ou le détourner
il passe au travers de mon corps membrane perméable et
cure quelque impureté au fond de ma gorge
restes de glaires et de cris étouffés
j’en trouve une à l’abri des genêts taillée pour ma paume et son crâne
sous le chant de l’engoulevent je la glisse dans ma poitrine
où il a laissé un petit espace exsangue c’était entre le fromage et le dessert
je me souviens le silence l’hiver se fait attendre je remonte mon col et
allonge mon pas chassé
la diva
la diva est capricieuse elle tape du pied se roule par terre
je veux je veux je veux une pulsion inassouvie elle est dépossédée
elle rage elle crache elle colère la diva devient despote
caligula dans ses œuvres elle tyrannise
ça déborde d’elle la diva s’étouffe elle a mal mets-toi à genoux
je te veux esclave elle tape du pied maudit la terre le ciel et
les gens heureux
il pleut sur ses joues elle est l’enfant qui n’a pas eu de dessert incompris
seul
canopée
c’est là que tout se déclenche une enfance posée sur le carrelage
la tête levée nuque déformée en quête d’un regard de grandes personnes
qui la piétinent invisible petite chose même pas drôle même pas jolie
même pas babillarde trop de jambes qui font comme des barreaux
tout autour elle choisira la clairière dans le creux des arbres
la tête élevée nuque dégagée par la canopée maternante
jacques a dit
si tu recules assez loin du bourdonnement
si tu observes les ombres s’agiter si tu n’écoutes plus
ni ton voisin ni la télévision ni le bruit de leur pas
un pas cadencé cent-vingt battements minutes
dans le rang des pantins assignés tu verras comme tout est ridicule
éloigné de la sève des forêts primaires assis, debout, couché
perdu j’ai pas dit Jacques a dit couvre ta bouche décolle tes oreilles
baisse la tête et baise les pieds petite chose au crâne évidé
compagnon fidèle de la ploutocratie (tu jappes et secoues la queue)
qui paie son Iphone au prix du PIB du burundi tu verras
comme les ombres aux yeux crevés se sont perdues dans la tempête
plus rien n’a la saveur de la terre
après la pluie
le miel
arrive enfin le jour où tout devient visible
l’esprit s’est débarrassé d’imposants carcans de feutre épais
posés là depuis le début des temps qu’il a fallu racler et peler
couche après couche, et ça ne s’est pas fait sans douleur pour
laisser entrer un filet de lumière de la lucidité chèrement acquise
s’écoule un sirop qui apaise les brûlures au fond de la gorge
d’avoir trop grondé d’avoir trop appelé s’écoule une sève nouvelle
des mignardises avec le café des pâquerettes sur la nappe
il est honnête de reconnaître que cela manque hélas de sel
mais entre des feux d’artifice inflammables et les matins calmes sous la brise
je choisis le miel
Extraits de « Exhalaisons »