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blanche

La revue n° 66 poètes de service

poètes de service

Laetitia Secq

Laetitia Secq est une jeune plume de 49 ans, amoureuse des mots et des livres depuis la tendre enfance. Elle a publié le roman « Toutes les mers sont nomades » en 2021 chez Amok et les recueils de poésie « Jusqu’à ce que vie s’en suive » en 2023 chez Iggy Book et « Exhalaisons » en 2024 chez Poésie.io. Le reste de son temps, elle est professeure des écoles et graphothérapeute dans un tout petit village de l’Aude.

 

 

 

le portrait de dorian gray

dorian gray        il l’a vue la première fois

elle allait à grandes enjambées        entre les valises et les mots dans le haut-parleur        elle laissait déjà de la poussière sur son passage        mais il n’avait pas regardé

le verso brûlé        elle avait belle allure        la nuque droite la bouche tendre

ses yeux de la couleur du brouillard        qui aurait pu voir au travers ?

ont commencé les secousses        de soubresauts en convulsions        elle l’a mutilé

elle a gratté son front        sans pudeur jusqu’à l’os        elle ricanait de la trépanation        la misérable connasse        elle dansait dans les hôtels        et jouait à colin-maillard        mais quand le dernier train est passé        il est monté en première classe et

a laissé sur le quai        le portrait de dorian gray

 

 

 

la lande

        je marche sur la lande

je cherche une pierre aux angles marqués        point trop lourde

de celles qui peuvent fendre une tempe        dans un mouvement poétique

sans prendre véritablement d’élan        deux entrechats un tour piqué

et frapper sur une arabesque        le vent souffle affranchi

rien pour le contraindre        ou le détourner

        il passe au travers de mon corps membrane perméable et

                cure quelque impureté au fond de ma gorge

                        restes de glaires et de cris étouffés

j’en trouve une à l’abri des genêts        taillée pour ma paume et son crâne

sous le chant de l’engoulevent        je la glisse dans ma poitrine

où il a laissé un petit espace exsangue c’était entre le fromage et le dessert

je me souviens le silence        l’hiver se fait attendre        je remonte mon col et

allonge mon pas chassé

 

 

 

la diva

la diva est capricieuse        elle tape du pied        se roule par terre

je veux je veux je veux        une pulsion inassouvie        elle est dépossédée

elle rage        elle crache        elle colère                la diva devient despote

                caligula dans ses œuvres                elle tyrannise

ça déborde d’elle        la diva s’étouffe        elle a mal        mets-toi à genoux

je te veux esclave        elle tape du pied        maudit la terre le ciel et

                                                les gens heureux

il pleut sur ses joues        elle est l’enfant qui n’a pas eu de dessert        incompris

seul

 

 

 

canopée

c’est là que tout se déclenche        une enfance posée sur le carrelage

la tête levée nuque déformée        en quête d’un regard de grandes personnes

qui la piétinent        invisible petite chose        même pas drôle        même pas jolie

même pas babillarde                trop de jambes                qui font comme des barreaux

tout autour                        elle choisira la clairière        dans le creux des arbres

la tête élevée                        nuque dégagée                par la canopée maternante

 

 

 

jacques a dit

si tu recules assez loin du bourdonnement

si tu observes les ombres s’agiter        si tu n’écoutes plus        

ni ton voisin        ni la télévision        ni le bruit de leur pas

un pas cadencé        cent-vingt battements minutes        

dans le rang des pantins assignés        tu verras comme tout est ridicule

éloigné de la sève des forêts primaires        assis, debout, couché

perdu j’ai pas dit Jacques a dit                couvre ta bouche décolle tes oreilles

baisse la tête et baise les pieds                petite chose au crâne évidé

compagnon fidèle de la ploutocratie (tu jappes et secoues la queue)

qui paie son Iphone au prix du PIB du burundi                tu verras

comme les ombres aux yeux crevés se sont perdues dans la tempête

plus rien n’a la saveur de la terre

après la pluie

 

 

 

le miel

arrive enfin le jour où        tout devient visible

l’esprit s’est débarrassé d’imposants        carcans de feutre épais

posés là depuis le début des temps        qu’il a fallu racler et peler

couche après couche, et        ça ne s’est pas fait sans douleur        pour

laisser entrer un filet de lumière        de la lucidité chèrement acquise

s’écoule un sirop qui        apaise les brûlures au fond de la gorge

d’avoir trop grondé d’avoir trop appelé        s’écoule une sève nouvelle

des mignardises avec le café                des pâquerettes sur la nappe

il est honnête de reconnaître que        cela manque hélas de sel

mais entre des feux d’artifice inflammables        et les matins calmes sous la brise

je choisis le miel

 

 

Extraits de « Exhalaisons »