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blanche

La revue n° 62 Notes de...

Notes de...

Tom Saja

Vraie note de lecture :
Raie Bras de Beurrerie. Far at night, quatrains

2100. Poésie.

No more Poetry. La Poélice est partout, traque les jouteurs de verbe, matraque les bouches qui palabrent de la rime, patatraque les descendants de Richard cœur de truite et de tous les salopards amoureux des belles phrases. Le silence est d’or, il planque entre les molaires serrées. Chaque poète le garde, il en va de sa vie. Une vie de rumination, à la recherche de la ligne parfaite, de l’alexandrin de l’au revoir. D’une vie, on ne retient que ça, les derniers mots d’un mort.

2100.

Plus de stèles à graver de lettres d’argent, plus d’épitaphe, juste des poètes au compost. La Poetry n’est qu’une suite d’ultimes phrases de condamné, mises bout à bout, chaque mot ayant été cherché, pesé, poli sans polit(c)esse le long de l’existence. Désossé le verbe, étripée la langue carrossable. Le barde est l’idio(t)me du village. Nos morts Poetry, juste des clochards sur une plage qui se passent la bouteille. La rasade au goulot, l’en deçà et le sable. Ceux qui (s’)échouent, gâchent un peu de salive, ouvrent leur clapet, déclament une strophe, un calembour, un hymne à ce qui passe là, le soleil, les méduses, les oiseaux. La Poélice fond en un éclair, avec leurs bâtons noirs, de nulle part, frappant jusqu’à ce qu’aucun son ne sorte plus de la bouche fautive. Ils ne prennent pas la peine de nous regarder nous, les autres clodos. On tient le mute, en lâches mutins, silencieux de couardise. Ô Poésie. On s’est passé le pastaga toute la nuit, se répétant dans nos têtes toute la poestry. Chacun se la récite, en chant intérieur, jour et nuit. La plainte du système digestif, qui quémande de la nourriture spirituelle. Les lèvres miment les mots, sans piper. Les regards savent, quand ils se croisent, à quel vers ils sont. Avec le temps, chacun sait le rythme de l’autre. 2100, ça fait un paquet de vers, pour un paquet de morts. On se le transmet des lèvres aux yeux, pour les petits nouveaux. Notre seul phare dans la nuit, ce dernier souffle qu’il nous faut prononcer, pour rajouter une graine au chapelet invisible, un peu de salive à l’indicible, à l’enfoui, à l’ancré dans nos mémoires, le long fil d’Ariane de nos tripes à l’air libre. A rêver du jour où la Poélice ne sera plus. Où la Poetry reprendra.