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blanche

La revue n° 62 simple poème

simple poème

Jardins de l’observatoire 6ème arrondissement de Paris. 22 juillet 2022 à 9h45

Assise non loin des jeux pour enfants, j’admire les stratégies oratoires très sophistiquées employées par les pères pour faire enfiler des gilets à leur progéniture nullement frileuse. Juste à côté de cette charmante et turbulente population, deux employés de la mairie de Paris balaient la poussière des rues et du jardin à grand renfort de musique arabe puis, hissé sur leur vieille camionnette, l’un d’eux envoie de longues pelletées de terre brunâtre sur les haies du jardin et les bacs à sable pendant que les enfants chantent, courent et cherchent un accord multilatéral sur les jeux à entreprendre dans un futur proche. Un pauvre joggeur tout de bleu vêtu se démantibule au fur et à mesure de ses va-et-vient au long cours et ses bras mous moulinent tel l’artisan musclé, emballé par la houle de son pétrin. De nombreux jets d’eau à tourniquets arrosent aussi généreusement l’herbe verte que les bancs et les allées ; les statues trop blanches auraient du mal à garder les pieds au sec si l’envie leur prenait de descendre de leur socle – raison pour laquelle elles y restent et se contorsionnent sous l’effet des éclaboussures et d’anciens canons de la beauté qui nous tirent encore quelques regards froids et éphémères. De plus en plus de bambins s’agglutinent dans leurs parcours ludiques hérissés de hautes marguerites en ferraille bleu ciel, et leurs maigres bras distendus par l’effort et leurs petites frimousses sourcilleuses me rappellent à quel point l’enfance prend ses distractions au sérieux et ses devoirs quotidiens à la légère, attitude sage dont leurs aînés devraient s’inspirer. Les tables de ping-pong n’intéressent personne et les promeneurs sont tous des solitaires sans rêveries, porteurs de sacoches ou de cabas.
Je venais dans ce jardin il y a trente ans et je sanglotais sur ces bancs en enviant l’existence des pigeons. Aujourd’hui je suis la même, mais autrement. Des jets d’eau et de la fontaine émane toujours l’éternelle et bruissante fraîcheur mais je n’ai plus de désespoir pour l’assourdir, l’épuiser et la réduire à néant.

Marie-Anne Bruch