simple poème
Les chemises
Je porte les chemises de mon amour perdu, comme une surcouche de l’épiderme, qui questionne mon libre arbitre, et la domination des hommes. La recherche de mon identité est en mouvement, aucune de mes pensées n’échappe à ce tourment perpétuel. Le matin, le coton ciel se pose sur mes épaules, la chemise d’homme propose un rapport avec le corps, je suis dans le coton léger de mon homme, le coton large et doux de la chemise d’un homme. Je fais cohabiter ma féminité avec l’autre frange, mon intime reconnaissance ne se produit que là. Je rassemble dans l’ampleur de ce vêtement les multitudes de choses qui me composent, mes convictions personnelles, qui parfois se contredisent.
J’assume une esthétique de surface, un rapport à la mode qui me permet de me placer sur le bord des attentes, toutes sortes d’attentes. J’ai toujours aimé les bords, celui-ci est en accord avec le reste, ce que je donne à voir à l’autre, comment je l’interpelle.
Ma chemise et moi sommes en dehors du réel, dans mon imaginaire. Ma démarche et mes gestes dans ma chemise sont tout à fait ce que je suis, je veux m’approprier le composant masculin et libre du vêtement, accepte un découpage flou à l’intérieur de moi.
La chemise d’homme est mon vêtement magique, le révélateur de mon affaire secrète, ma vérité cachée, qui s’affiche. Les différentes identités se modifient avec le temps, d’un jour à l’autre, selon les ciels, mais la chemise d’homme reste. Elle est moi.
Dans la chemise se trouvent aussi la maison, le point de départ des errances et le retour. Le vêtement porté, comme substance incarnée.
Lorsque les bouts de soi se fragilisent, je me rends compte que la chemise résiste, elle a toujours son rôle à jouer, le matin, je me lève et je la revêts.
Dans la carrure de la chemise d’homme, je suis à la fois sensuellement fine et deux fois plus grande qu’en vrai. L’ampleur de la chemise comme langage personnel, je suis à l’aise dans ma chemise bleu ciel, cet espace entre le tissu et la peau devient mon nouveau lieu d’habitation, je suis chez moi, territorialité incontestable. Les frontières disparaissent, elles se confondent dans le coton, mon image s’approche de ma seule perception subjective. Ça compte.
Dans la chemise, mon corps est encore plein de lui.
Sophie Djorkaeff