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blanche

La revue n° 63 Notes de...

Notes de...

Mademoiselle Ramatou

Lettre à un jeune flic

« Vous me demandez si vous êtes un bon homme, je ne puis vous répondre qu’à travers le
Poëte. »
R.M Rilke

Désormais (puisque vous m’avez permis de vous conseiller) je vous prie de renoncer à tout cela. Votre regard est tourné vers le dehors ; c’est cela surtout que maintenant vous ne devez plus faire.

Personne ne peut vous apporter conseil ou aide, personne.

Il n’est qu’un seul chemin

Entrez en vous-même,

cherchez le besoin qui vous fait écrire protéger :

examinez s’il pousse ses racines au plus profond de votre cœur.

Confessez-vous à vous-même :

mourriez-vous s’il était défendu d’écrire exercer votre profession ? Ceci surtout :

demandez-vous à l’heure la plus silencieuse de votre nuit : « Suis-je vraiment contraint d’écrire de servir ? »

Creusez en vous-même vers la plus profonde réponse.

Si cette réponse est affirmative, si vous pouvez faire front à une aussi grave question par un fort et simple : « Je dois », alors construisez votre vie selon cette nécessité.

Votre vie, jusque dans son heure la plus indifférente, la plus vide, doit devenir signe et témoin d’une telle poussée. Alors approchez de la nature. [...] »

 

Décrivez ce que vous vivez, aimez, perdez

Écrivez des poèmes d’amour. Tombez dans ces thèmes trop courants :

ce sont les plus difficiles mais les plus beaux…

Et vous avez besoin de sublimer

votre quotidien ; de vous abandonner à un petit coin de verdure, un paradis désuet,

une île en Écosse.

No man is an island.

 

Ne soyez pas esclave des circonstances. Pas d’impondérable, pas de nécessité dictée par le contexte. Ayez foi en vous, votre jugement, votre éthique,

votre honneur.

Dites votre foi en une beauté. […] Même si vous étiez
dans une prison […]

Ne vous resterait-il pas toujours votre enfance, cette précieuse, cette royale richesse, ce trésor des souvenirs ? […] Tentez de remettre à flot de ce vaste passé les impressions coulées.

 

Votre personnalité se fortifiera, votre solitude se peuplera et vous deviendra

comme une demeure aux heures incertaines du jour

fermée aux bruits de dehors.

[…]

Une œuvre d’art est bonne quand elle est née d’une nécessité.

C’est la nature de son origine qui la juge.

Comme pour vos actions. Vous en êtes le seul maître, le seul juge de votre cœur et de ses motivations. Le reste, si je puis dire, n’est qu’une question d’espoir. Espoir inconsidéré dans la justice du processus entier. Espoir vain comme tout espoir.

Mais, tout en restant lucide, mesurez cette force qui est la vôtre, celle qui anime votre bras à tout instant.

Rappelez-vous, ce fardeau qui est le vôtre :

 

C’est un trou de verdure où chante une rivière

Accrochant follement aux herbes des haillons

D’argent ; où le soleil, de la montagne fière,

Luit : c’est un petit val qui mousse de rayons.

 

Un soldat jeune, bouche ouverte, tête nue,

Et la nuque baignant dans le frais cresson bleu

Dort ; il est étendu dans l’herbe sous la nue,

Pâle dans son lit vert où la lumière pleut.

 

Les pieds dans les glaïeuls, il dort. Souriant comme

Sourirait un enfant malade, il fait un somme.

Nature, berce-le chaudement : il a froid.

 

Les parfums ne font pas frissonner sa narine ;

Il dort dans le soleil, la main sur sa poitrine

Tranquille. Il a deux trous rouges au côté droit.

 

Vous n’avez pas usurpé ce pouvoir, cette force. Vous vous sacrifiez à une idée : vous avez fait don de votre être pour une idée.

 

Néanmoins, Monsieur, s’il m’est permis

de vous donner ce conseil :

Ne vous perdez pas et essayez de rester en vie

OU

de mourir pour les bonnes raisons.

 

Voilà tout ce que je peux vous apporter, à titre personnel. S’il vous plaît, daignez l’accepter et le partager avec ceux des vôtres qui voudront bien l’entendre.

 

Je reste,

votre humble obligée,

dans l’attente d’un prompt revoir,

 

Votre Servitrice,