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blanche

La revue n° 63 Notes de...

Notes de...

Tom Saja

Prenez une table. Disposez des vivants autour et gardez-les tant qu’ils le sont. Les vivants sont maintenant autour de la table. Faites les vivre, faites-les mugir comme des veaux. Faites rôtir des pommes de terre bien laides. Débouchez des cuvées ignorées. Faites déborder leurs verres de breuvages chargés. Allumez des cigares devant les enfants. Bousculez vos vivants. Quand ils seront morts, ils seront dans la bouche des vivants et dans le cœur des vivants et autour de la table. Laissez les taches de vin comme de sang sur les nappes. Gardez les traces de vos convives, sur le mobilier ou en mémoire. Les morts sont autour de la table. Ils sonnent le tocsin irrésistible qui rappelle qu’il faut dévorer le jour.

Sortez l’accordéon des Balkans. Chantez, dansez, resservez-vous deux verres ras la gueule. Soyez ces bulles qui montent jusqu’à la surface à la recherche de pays étrangers, de langues inconnues et de palais fantastiques. Tombez de vos chaises. Roulez des tables.

Bourlinguez. Traînez vos savates vers la seule lumière viable de la ruelle. Faites un cercle autour de la bougie, lisez sur les lèvres de vos amoureuses. Éteignez les mèches avec vos doigts mouillés ou soufflez-les, sentez l’odeur du noir qui se fait, la fumée qui disparaît à jamais. Lisez dans le fromage fondu des Margaritas et dans les Rorschach des moisissures.

Parlez aux plantes vertes quand vous êtes seul, parlez aux salières, taillez le bout de gras avec les bouts de gras

Arrosez vos vivants. Laissez-les piquer du nez au beau milieu de l’après-midi, quand les estomacs sont lourds, les pieds pleins de chemins, l’âme nostalgique d’une enfance trop lointaine, ils ronflent maintenant, ils ronquent, ils jouent de la trompette, des soupirs d’éléphant, le palais anesthésié, les bulles ayant fait le travail, la bête achevée, le plaid déplié, les dents noires de café, du petit nougat pour faire passer le tout, le digeo, la mort aux trousses encore à distance.

Sur nos êtres à tous, le sel que le vent charrie, pourfendeur de la fadeur. Les morts sont vivants. Les morts sont dans la chambre. Les morts sont dans le frigidaire. Les morts sont dans le couloir. Les morts sont en nombre dans les pénombres dans les décombres dans les concombres. Les morts sont dans les rideaux de dentelle. Le vent, pourfendeur de l’immobilité, nous rappelle leur souvenir.

Inventez-vous des dieux qui ne vous empêchent pas de vivre, des dieux qui vous passent le baba, la rasade, qui remontent la couverture jusqu’au menton de la nuit, des dieux faciles à prier, qu’on sanctifie en respirant le soleil dans l’allée, en paressant le lundi, en mangeant des framboises, des dieux avec des offrandes faciles, genre se la couler douce, sans rabais pour aucun paradis, juste le même silence des quatorze premiers milliards d’années pour toujours.

L’on finit par se désintégrer. On s’éparpille en particules. C’est ok.

C’est ok d’être juste de l’hélium et de l’hydrogène. C’est ok d’être moins célèbre que la dynamite. C’est ok de ne pas trouver DIEU. Chacun y laisse son squelette, son architecture, sa texture, son anarchie.

Être en vie c’est être le cul entre deux morts, le séant entre deux néants.

Les corps mourants des cormorans sont romantiques. Ils ressuscitent. Sur la tristesse de l’écume. Sur la grève normande. Ils ne craignent pas le vent et raffolent de ces grosses frites grasses comme on sait les faire dans le Nord, comme on sait les perdre des cornets de papier gorgés d’huile, et qui viennent mourir sur les planches. Les patates mortes coupées ébouillantées en frites.

La vie est un chant continu comme la mort est un chant continu. Regardez comme le pain frais et vif et moelleux est dur et sec et dur le lendemain. Tranchez-le tant qu’il est encore temps. Gardez-en un bout dur pour vous le rappeler et pour les canards.

J’avais un chat qui était boddhisattva. Il dormait toute la journée sur le canapé. Il me disait toute vie est souffrance. Il a terminé sous les pneus d’une voiture.

L’irréel meurt et les artères géantes du siècle. Comme une poignée de miettes aux oiseaux, un nom de la fragilité d’une chips. Comme la musique du piano vache, à genoux sur les marches souillées de bière du violon dingue. Entrechocs de chopines dans la capitale Rocamadour. L’on sifflotait des poésies tandis que l’on faisait pleurer nos singes aux latrines. L’on découpait des têtes pour de faux. Comme la serrure de la sortie du royaume. Contre ces vestes cachant des noyaux nucléaires, contre la cohue pour avoir un verre, le sucre collant des rhums aromatisés. Contre les perroquets qui pérorent la fin des âges, les faux-prophètes et leurs plumes dans le derrière.

Fais de ton corps la caverne du rire le creux du vivant la pâte pétrie des longs soirs beaucoup d’eau et de soleil et tout ce que ta langue identifie comme sel fais de ton corps une boule bien belle qu’importe qu’elle soit ronde fais-la bien belle la lune n’est pas ronde puisqu’elle est belle fais de ton corps ce vivant casse-cou affamé de casse-croûte entoure-le de bons vivants de vrais vivants de tendres vivants ceux qui braillent fort au plus loin des grandes tablées de doux vivants de gentils vivants

vivants

vivants