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blanche

La revue n° 63 poètes de service

poètes de service

Ana Maria Caballero

ANA MARIA CABALLERO (née en 1981) est une artiste et poétesse américaine d’origine colombienne. Son travail explore la manière dont la biologie structure les rapports culturels et sociaux, remettant en question les notions qui présentent le sacrifice féminin comme une vertu. Les personnages de ses poèmes naviguent entre l’intellectuel et le quotidien, en osant nommer ce qui est tu dans cet espace qu’est le foyer.

Publiée dans de nombreuses revues américaines, Ana Maria Caballero a également créé de nombreux poèmes numériques (vidéo, animation, audio) dont le succès a contribué à lui donner un essor international, faisant d’elle une des pionnières du mouvement moderne de crypto-poésie.

Elle a co-fondé la galerie littéraire NFT theVERSEverse, œuvrant pour que la valeur des poèmes en tant qu’œuvres d’art soit reconnue : poem = work of art.

Poèmes traduits de l’américain par Air.

 

Dans chaque pièce

je suis une femme différente dans chaque pièce            dans la cuisine aussi efficace et fonctionnelle            qu’une fourchette            silencieuse dans la chambre            sur la pointe des pieds pour éviter les discussions            le poids de te dire            tout va bien            il ne s’est rien passé            dans le confessionnal de la salle de bains            les pensées se tordent en courbe avide comme le creux qui conclut ma colonne            l’étendue à l’avant            de la femme qui reste            à la crèche nostalgique            j’invoque le passé            un amour pour de lointains animaux            baleines            je me rappelle une naissance en ville            mais les couloirs et les orbites m’entrainent            plus loin dans un village pour enfant            dans des récitals de musique            où les grands-mères battent le rythme avec leurs cheveux mouillés            et toujours une radio qui hurle des chansons argentines engagées            vigilante dans le salon            avec mes gaines de soutien            j’observe la fraise que je lâche au sol            sur lequel quelqu’un pourrait glisser            du parquet partout            des étagères en formica neuves et pourtant couvertes de poussière            garée dans l’imposante allée            je prépare ma finesse d’esprit et tout ce que je pourrais offrir            en imaginant pouvoir dormir sans aide            souple et lisse            comme le bébé dans mon ventre            comme la forme de ma langue sur le point de parler            personne n’est plus seule            que la femme qui est aimée

 

 

Pointillisme

Pas la vie dont j’ai rêvé

n’est pas une bonne façon de dire-

ce n’est pas

la vie dont j’ai rêvé.

Il vaudrait mieux accoucher

du concept de manière abstraite,

 

depuis la lointaine netteté de la métaphore :

 

les brusques vagues indigo

du lac Okeechobee

masquent bien les alligators qui rôdent

 

Mais même l’allégorie pose problème.

 

Les pensées, comme les crocos, glissent quand on ne les provoque pas.

 

Mieux vaut donc ne pas articuler...

ne pas verbaliser

rien.

 

Ou concéder...

 

Chérie,

Je t’aime.

 

Tu es un père formidable,

un homme formidable.

 

Mes mamelons saignent

d’avoir nourri notre bébé.

 

C’est tout.

 

 

Sens de l’humour

Même si je ne suis pas drôle

mon fils rit

Par son rire je ne me sens pas drôle

mais redevable -

comme si je lui devais maintenant une blague

comme s’il valait mieux rapidement devenir drôle,

avant qu’il soit en âge de se rendre compte

que maman n’est pas drôle

mais maussade

un fil tendu entre la bobine

et un horizon immédiat

Tu ne dois pas baisser les yeux.

Si cela devient difficile de me voir

je serais la première à dire -

Éloigne-toi