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blanche

La revue n° 63 Notes de...

Notes de...

Tristan Félix

Sur les terrasses et leur vulgarisation

A Paris comme ailleurs, un virus à géométrie politique, sociale et économique s’est, depuis plus d’un an, payé de sacrées tranches de trottoirs. Il a bouffé, au pif au mètre et sur des kilomètres, 35 pour cent de piétons dont 9 pour cent d’espèces canines (peu de bâtards à Paname), 2 pour cent de rats, 5 pour cent de pigeons bisets, 9 pour cent de vieilles gens branlantes et duveteuses, 5 pour cent de handicapés avec béquille ou sans canne blanche, 3 pour cent d’enfançons désarticulés joueurs de ballon, 2 pour cent de mendiants venus de là-bas comme d’ici, porteurs de sombres nouvelles et un pourcentage résiduel d’insectes rampants délocalisés. Tout ce petit monde a été prié de se faire cuire un œuf plus loin, de faire un écart, un détour, un saut dans le ruisseau, un bond sur la chaussée fumante pour laisser libre cours à un nouveau type de spectacle permanent à guichet ouvert. Ce virus municipal, au prétexte de rattraper les pertes subies par les cafetiers et restaurateurs à cause du confinement enculerrecodeur, a autorisé et encouragé l’expansion soudaine, pérenne et terrassante de terrasses en bois garnies majoritairement de buveurs barbus ou à couettes, percés et tatoués devant leurs pintes locales ou leurs verres de chardonnay élégant. Cette jeunesse avancée s’étale sur l’espace public qu’on lui a privatisé en le territorialisant. Elle s’expose au vent comme à la brise dans ses vitrines sans vitre, rutile, jubile, s’émulsionne, s’échauffe, se jauge, parade, échange ses enfants et ses bons plans pro, sous les yeux pressés, désargentés, nauséeux, usés ou désabusés des passants périphériques.

Je vous écris depuis la terrasse de mon convertible, un verre de whisky tourbé dans la goule.