Notes de...
Jérôme Fortin
Le pet du plus grand nombre
Comme tout un chacun je suis parfois tenté (d’autant plus qu’est vague ma connaissance du sujet) d’accabler de commentaires une thématique s’étant malencontreusement trouvée sur mon chemin. Ne serait-ce que pour le plaisir d’introduire un ou deux malentendus dans ce fleuve qu’Héraclite disait ne jamais descendre deux fois - mais qui, pour ceux qui s’y trouvent emportés, acquiert généralement une solidité de cauchemar. L’usine à temps n’est jamais à court de chimères pour celui qui se croit immortel. Il ne s’agit pas de troller, mais bien de confronter des attitudes jalouses à l’aide de sentiments ténus mais exacts ; encanailler, bref, le consensus établi.
Ainsi, l’autre jour, au sujet d’une vitamine quelconque (qui, comme toutes les vitamines, ne m’intéresse pas), ai-je eu la pulsion de balancer un avis datant de plus de quinze ans (moment où, dans des circonstances oubliées, mon esprit s’était momentanément préoccupé de cette vitamine). Je ne mentionnerai pas le nom de celle-ci pour ne pas réouvrir le robinet des réfutations ; ce fut déjà assez pénible l’autre jour d’ailleurs, dans cette écume de haine, où le poète, verbal, tentait de se défendre contre les apparatchiks de la Science et de la Raison, dont l’un portait une moustache et l’autre avait un gros cul.
Ainsi, l’autre jour, ai-je eu envie d’introduire quelques paradoxes dans une discussion d’une trop morne certitude à mon goût. Notons au passage que mon opinion ne différait pas nécessairement de celle encombrant le carrefour à ce moment-là. Ce qui m’agaçait, dans cette stase cérébrale, dans cet alphabet de l’ennui, c’était surtout le bêlement du troupeau qu’effrayait visiblement une nuit trop largement inventée. J’avais envie d’y jeter quelques crachats stellaires, quelques coups de pieds ballabiles, des gifles vernales. Peut-être, dans ma naïveté de poète, avais-je espéré quelques floraisons qu’il serait stupide d’encore attendre. Car, admettons-le, le but ici est rarement de dialoguer. Il s’agit en réalité d’un trouble transitoire de l’intestin grêle.
Ce que j’avais à dire n’était pas ontologiquement con je crois. Je disais, par exemple, que des résultats presque exclusivement basés sur des tests sanguins bas, et non sur des gens effectivement malades, étaient peut-être discutables. C’est comme dire qu’on est en train de coudre parce qu’on n’est pas en train de manger une banane. Qu’il y a-t-il de si choquant là-dedans ? Pourquoi m’accuse-t-on de semer sur la toile de dangereuses désinformations ? Quoi d’autre ? Une étude datant de quinze ans, réfutée de manière seigneuriale depuis (je ne le savais pas), les auteurs des pages de ce livre désormais interdit aujourd’hui qualifiés d’imbéciles par les gendarmes contemporains de la pensée. Pourtant, ces conclusions jugées aujourd’hui apocryphes ont bel et bien été émises par les autorités constituées de l’époque. Ceux qui insultent celui les estimant peut-être encore en partie valables aujourd’hui confirment bien ce qu’est la vérité selon Beckett : le pet du plus grand nombre.
Ainsi piégé dans cette trompette bouchée, aurai-je tenté, en vain, de faire jaillir un son d’une tonalité nouvelle. Mais ces imbéciles avaient bel et bloqué la rotation terrestre. Pour le moustachu patenté, j’étais un scientifique raté frustré de ne pas être devenu professeur ; pour le gros cul, je souffrais de problèmes cognitifs graves en raison d’une carence prolongée en cette maudite vitamine dont il est accessoirement question ici.
L’administrateur du compte Facebook a finalement cru bon de mettre fin à la dispute. Je n’ai pas eu droit à mon dernier mot.
Illustration : Marie-Eve Soucy