poètes du monde
Une peau, cela. Se retourne infiniment
pendant l’amour. Se rétracte
à la question. Cela ce tend – sous les tractions
de la haine – & se noue
dans les torsion de la pensée.
Le reste du temps, ça
se contente de pendre sur un cintre.
Cédric Demangeot
Une inquiétude - Ed. Flammarion
Poignard dans le dos
Le peuple danse
Nos diplomates festoient dans les morgues
Les ambulances
La philosophie des punaises est irrémédiable
Le sang
Fuit les artères du pauvre
Glisse dans la panse des escrocs
Rolaphton Mercure
Jeune poète haïtien,
Extraits de ‘Bel Ogou d’avant rouge’
publié chez Atlantiques déchaînés, maison d’édition révoltée et survoltée qui investit les champs de la pensée et de la littérature depuis une perspective caribéenne.
Insecte importun
Insecte importun libellule errante
Toutes les directions de l’espace s’allument
Chapelle du soir où voguent les navires désarmés
Où flottent les nacelles des ballons perdus
Dans l’air sec des sciences
Tous les livres étages vers la gloire
Navigations entre ces yeux morts ces yeux éteints
La joie s’est enfuie vers l’horizon qui dort
Les faubourgs sont trop loin pour la clarté des jours
Les fenêtres désertent l’espace lamentable
La faim roule dans l’obscurité
L’herbe manque aux moutons marques de la pâture
La nature hélas hélas ce n’est pas fini
Et toujours recommence
Ce petit air ancien qu’à huit ans j’enfermais dans un carnet brun
Il y avait un poème sur le chat
Un autre sur Château-Gaillard
Et des tables de sinus hypothétiques
C’est la lumière qui a manqué
Et non pas la poussière
Les marches impaires ne me pardonneront jamais ma vitesse
Les minutes de ce jour
Sont plus longues que les années de mon enfance
L’escalier frémit
Actes timorés pensées tremblantes
Laisser au papier sa marge
A l’instant sa douleur
Cycles tournant des éphémères
Peinture faite de tronçons
Du haut en bas on désespère
De bas en haut c’est la chanson
Planisphère aux pôles troués
Des océans qui écument
Des cités désaffectées
Et des volcans qui s’enfument
Mais sur l’astrakan où scintille la neige
Des mains froides se sont posées
C’est pour toujours ou pour jamais
C’est pour maintenant
Raymond Queneau
L’Afrique va parler.
Car c’est à elle maintenant d’exiger :
« J’ai voulu une terre où les hommes soient hommes et non loups
et non brebis
et non serpents
et non caméléons.
J’ai voulu une terre où la terre soit terre
Où la semence soit semence
Où la moisson soit faite avec la faux de l’âme, une terre de Rédemption et non de Pénitence, une terre d’Afrique.
Des siècles de souffrance ont aiguisé ma langue
J’ai appris à compter en goutes de mon sang, et je reprends les dits des généreux prophètes
Je veux que sur mon sol de tiges vertes l’homme droit porte enfin la gravité du ciel. »
Et lui ne réponds pas, il n’en est plus besoin, écoute ce pays en verve supplétoire, contemple tout ce peuple en marche promissoire, l’Afrique se dressant à la face des hommes sans haine, sans reproches, qui ne réclame plus mais affirme.
Il est encore des bancs dans l’Eglise de Dieu
Il est des pages blanches aux livres des Prophètes,
Aimes-tu l’aventure, ami ? Alors regarde
Un continent s’émeut, une race s’éveille
Un murmure d’esprit fait frissonner les feuilles
Tout un rythme nouveau va térébrer le monde
Une teinte inédite peuplera l’arc-en-ciel
Une tête dressée va provoquer la foudre.
L’Afrique va parler.
L’Afrique d’une seule justice et d’un seul crime
Le crime contre Dieu, le crime contre les hommes
Le crime de lèse-Afrique
Le crime contre ceux qui portent quelque chose.
Quoi ?
un rythme
une onde dans la nuit à travers les forêts, rien – ou une âme nouvelle
un timbre
une intonation
une vigueur
un dilatement
une vibration qui par degrés dans la moelle déflue, révulse dans sa marche un vieux cœur endormi, lui prends la taille et vrille
et tourne
et vibre encore, dans les mains, dans les reins, le sexe, les cuisses
et le vagin, descend plus bas
fait claquer les genoux, l’article des chevilles, l’adhérence des pieds,
ah ! cette frénésie qui me suinte du ciel.
Mais aussi, ô ami, une fierté nouvelle qui désigne à nos yeux le peuple
du désert, un courage sans prix, une âme sans demande, un geste sans
secousse dans une chair sans fatigue.
Tâter à ma naissance le muscle délivré et refaire les marches des premiers conquérants
Immense verdoiement d’une joie sans éclats
Intense remuement d’une peine sans larmes
Initiation subtile d’un monde parachevé dans l’explosion d’or des cases, voilà, voilà, le sort de nos âmes chercheuses, et vous voulez encor vous épargner tout ca ?
Allons, la nuit déjà achève sa cadence
J ‘entends chanter la sève au cœur du flamboyant…
Paul Niger
« Je n’aime pas l’Afrique » (1944)
In, « Léopold Sédar Senghor : Anthologie de la nouvelle poésie nègre et malgache de langue française »,
Presses Universitaires de France, 1948