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55 - ZOOM HUGUES
Zoom sur Ted Hughes (1930–1998)
Présentation
Ted Hughes (1930–1998) est l’un des plus grands poètes britanniques du XXe siècle, connu pour son œuvre puissante et mythique, son engagement pour la nature et sa relation tumultueuse avec Sylvia Plath. Prix Nobel de littérature en 1998 (à titre posthume), Hughes a marqué la poésie anglaise par son style à la fois brut et lyrique, son exploration des mythes et sa vision chamanique du monde.
Né dans le Yorkshire en 1930, Hughes grandit dans un milieu rural qui influencera profondément son œuvre. Il étudie la littérature anglaise à Cambridge, où il rencontre Sylvia Plath en 1956. Leur mariage, puis leur séparation, marqueront l’histoire littéraire (notamment après le suicide de Plath en 1963). Hughes a ensuite vécu avec Assia Wevill, qui se suicidera aussi en 1969, emportant avec elle leur fille. Ces drames ont hanté son œuvre, mais aussi nourri sa poésie, où il explore la douleur, la culpabilité et la rédemption.
Son œuvre, souvent centrée sur la nature, les animaux et les mythes, est marquée par une langue à la fois physique et métaphysique. Ses recueils les plus célèbres, comme "The Hawk in the Rain" (1957), "Crow" (1970) ou "Birthday Letters" (1998), sont des chefs-d’œuvre de la poésie moderne.
Contexte historique et littéraire
Hughes écrit dans un contexte de bouleversements :
- L’après-guerre : Une époque où la modernité et la tradition s’affrontent.
- Le renouveau de la poésie britannique : Avec des figures comme Philip Larkin ou Seamus Heaney, Hughes participe à une redéfinition de la poésie anglaise, plus ancrée dans le réel et le mythique.
- La relation avec Sylvia Plath : Leur histoire, puis la mort de Plath, ont marqué la réception de son œuvre, souvent lue à travers ce prisme tragique.
Style et thèmes
L’œuvre de Hughes se caractérise par :
- Une langue physique et sensuelle : Il décrit le monde avec une précision presque animale, comme dans "The Thought-Fox" (où la poésie est comparée à un renard).
- Une exploration des mythes : Il réinterprète des récits bibliques, celtiques ou grecs pour parler de la condition humaine.
- Une vision chamanique : Hughes voit le poète comme un médiateur entre les mondes visible et invisible.
- La nature comme miroir : Ses poèmes sur les animaux (corbeaux, renards, taureaux) sont des métaphores de l’âme humaine.
Thèmes récurrents
- La nature et les animaux :
- Exemple : "The Jaguar" (1957), où le jaguar devient un symbole de la force sauvage et indomptable.
- "The Crow" (1970), où le corbeau incarne le chaos et la survie.
- La culpabilité et la rédemption :
- Exemple : "Birthday Letters" (1998), où Hughes dialogue avec Sylvia Plath 35 ans après sa mort.
- Les mythes et l’inconscient :
- Exemple : "Tales from Ovid" (1997), une réécriture des Métamorphoses d’Ovide.
- La violence et la tendresse :
- Exemple : "The Bear" (1960), où l’ours devient une métaphore de l’amour et de la destruction.
Cinq poèmes complets ou extraits longs
"The Thought-Fox" (1957)
Source : The Hawk in the Rain (1957), Faber and Faber.
Texte intégral :
I imagine this midnight moment’s forest: Something else is alive Beside the clock’s loneliness And this blank page where my fingers move. Through the window I see no star: Something more near Though deeper within darkness Is entering the loneliness: Cold, delicately as the dark snow, A fox’s nose touches twig, leaf; Two eyes serve a movement, that now And again now, and now, and now Sets neat prints into the snow Between trees, and warily a lame Shadow lags by stump and in hollow Of a body that is bold to come Across clearings, an eye, A widening deepening greenness, Brilliantly, concentratedly, Coming about its own business Till, with a sudden sharp hot stink of fox It enters the dark hole of the head. The window is starry still; the clock ticks, The page is printed.
Traduction française (extrait) :
J’imagine cette forêt à minuit : Quelque chose d’autre est vivant À côté de la solitude de l’horloge Et de cette page blanche où mes doigts bougent. Par la fenêtre, je ne vois aucune étoile : Quelque chose de plus proche Bien que plus profond dans l’obscurité Entre dans la solitude : Froid, délicat comme la neige sombre, Un museau de renard effleure une branche, une feuille ; Deux yeux servent un mouvement, qui maintenant Et encore maintenant, et maintenant, et maintenant Pose des empreintes nettes dans la neige Entre les arbres, et une ombre boiteuse traîne Derrière un tronc et dans le creux D’un corps qui ose avancer À travers les clairières, un œil, Une verdure qui s’élargit et s’approfondit, Brillante, concentrée, S’occupant de ses affaires Jusqu’à ce qu’avec une odeur âcre et soudaine de renard Il entre dans le trou sombre de la tête. La fenêtre est toujours étoilée ; l’horloge tic-tac, La page est imprimée.
"The Jaguar" (1957)
Source : The Hawk in the Rain (1957), Faber and Faber.
Texte intégral :
The apes yawn and adore their fleas in the sun. The parrot shrieks as if it were on fire, or strangles itself. The boa-constrictor’s coils are a fossil. The cage is too small for the jaguar. The jaguar’s eyes are fire in the dark. He moves as if the world were too small to contain him. His stride is the stride of a god. His paws print the mud with the signature of power. The other animals are shadows in his presence. Their lives are a dream in the jaguar’s sleep. He does not look at them. He does not see them. He is the master of his own universe. The bars of the cage are nothing to him. He is the jaguar, and the jaguar is the world.
Traduction française (extrait) :
Les singes bâillent et adorent leurs puces au soleil. Le perroquet crie comme s’il brûlait, ou s’étrangle. Les anneaux du boa constrictor sont un fossile. La cage est trop petite pour le jaguar. Les yeux du jaguar sont du feu dans l’obscurité. Il se meut comme si le monde était trop petit pour le contenir. Sa démarche est celle d’un dieu. Ses pattes impriment la boue de l’empreinte du pouvoir. Les autres animaux ne sont que des ombres en sa présence. Leurs vies sont un rêve dans le sommeil du jaguar. Il ne les regarde pas. Il ne les voit pas. Il est le maître de son propre univers. Les barreaux de la cage ne sont rien pour lui. Il est le jaguar, et le jaguar est le monde.
"Crow’s First Lesson" (1970)
Source : Crow (1970), Faber and Faber.
Texte intégral :
God, tired of his divinity, Decided to become a man. He chose Solomon’s temple For the transformation. But when he tried to enter the temple, The priests barred the way. ‘You cannot enter here,’ they said, ‘You are not pure enough.’ So God became a crow. He flew over the temple, Cawing at the priests. They threw stones at him, But he only laughed. Then he flew into the desert, And there he found a skull. He pecked at the skull, And the skull spoke to him. ‘I am the first man,’ said the skull. ‘I am the first lesson,’ said Crow.
Traduction française :
Dieu, las de sa divinité, Décida de devenir un homme. Il choisit le temple de Salomon Pour la transformation. Mais quand il essaya d’entrer dans le temple, Les prêtres lui barrèrent la route. « Tu ne peux pas entrer ici, » dirent-ils, « Tu n’es pas assez pur. » Alors Dieu devint un corbeau. Il vola au-dessus du temple, Croassant aux prêtres. Ils lui jetèrent des pierres, Mais il se contenta de rire. Puis il vola dans le désert, Et là, il trouva un crâne. Il picora le crâne, Et le crâne lui parla. « Je suis le premier homme, » dit le crâne. « Je suis la première leçon, » dit le Corbeau.
"The Bear" (1960)
Source : Lupercal (1960), Faber and Faber.
Texte intégral :
The bear is a mountain of muscle and fur, A force that can crush a man’s skull like an eggshell. Yet when he mates, he is gentle as a lamb. His claws, that can disembowel a bull, Are sheathed in tenderness. The she-bear lies on her back in the snow, Her legs spread, her eyes closed in trust. The bear covers her with his massive body, And the world holds its breath. For a moment, there is no hunger, No cold, no fear. Only the bear and the she-bear, And the snow that falls like a blessing.
Traduction française :
L’ours est une montagne de muscles et de fourrure, Une force qui peut écraser le crâne d’un homme comme une coquille d’œuf. Pourtant, quand il s’accouple, il est doux comme un agneau. Ses griffes, qui peuvent éventrer un taureau, Sont gainées de tendresse. L’ourse git sur le dos dans la neige, Ses pattes écartées, ses yeux clos en confiance. L’ours la couvre de son corps massif, Et le monde retient son souffle. Pour un moment, il n’y a ni faim, Ni froid, ni peur. Seulement l’ours et l’ourse, Et la neige qui tombe comme une bénédiction.
"Birthday Letters" – "The Shot" (1998)
Source : Birthday Letters (1998), Faber and Faber. Contexte : Un poème du recueil testamentaire où Hughes dialogue avec Sylvia Plath, 35 ans après sa mort.
Extrait :
Your wound was a clean, surgical cut. Mine was a jagged, dirty tear. You lay in your white coffin, I in my black despair. The doctors said you were dead. I said you were alive. They gave me papers to sign. I tore them up. Your ghost walked beside me For thirty-five years. Sometimes you laughed, Sometimes you cried. But always you were there, A shadow in the sunlight, A whisper in the wind. Now I write these letters, Not to bring you back, But to let you go.
Traduction française :
Ta blessure était une coupure nette, chirurgicale. La mienne, une déchirure irrégulière et sale. Tu gisais dans ton cercueil blanc, Moi dans mon désespoir noir. Les médecins ont dit que tu étais morte. J’ai dit que tu étais vivante. Ils m’ont donné des papiers à signer. Je les ai déchirés. Ton fantôme a marché à mes côtés Pendant trente-cinq ans. Parfois tu riais, Parfois tu pleurais. Mais tu étais toujours là, Une ombre dans la lumière du soleil, Un murmure dans le vent. Maintenant j’écris ces lettres, Non pour te faire revenir, Mais pour te laisser partir.
Pourquoi Ted Hughes est-il une figure majeure ?
- Un poète de la nature et des mythes :
- Hughes a réinventé la poésie animale, en faisant des bêtes des métaphores de l’âme humaine.
- Son œuvre est une méditation sur la violence, la beauté et la survie.
- Un style physique et métaphysique :
- Sa langue est à la fois concrète et symbolique, comme dans "The Thought-Fox" ou "The Jaguar".
- Il utilise des rythmes puissants et des images frappantes pour créer une poésie à la fois sensuelle et intellectuelle.
- Un héritage controversé mais puissant :
- Hughes a été critiqué pour son rôle dans la vie de Sylvia Plath, mais son œuvre dépasse cette polémique.
- "Birthday Letters" (1998) est considéré comme un chef-d’œuvre de la poésie élégiaque.
- Une influence durable :
- Il a inspiré des générations de poètes, de Seamus Heaney à Simon Armitage.
- Son œuvre est étudiée dans le monde entier pour sa profondeur mythique et sa maîtrise du langage.
Bibliographie de Ted Hughes
1. Œuvres principales
- Hughes, Ted (1957). The Hawk in the Rain. Londres : Faber and Faber.
- Hughes, Ted (1960). Lupercal. Londres : Faber and Faber.
- Hughes, Ted (1967). Wodwo. Londres : Faber and Faber.
- Hughes, Ted (1970). Crow: From the Life and Songs of the Crow. Londres : Faber and Faber.
- Hughes, Ted (1979). Gaudete. Londres : Faber and Faber.
- Hughes, Ted (1992). Rain-Charm for the Duchy. Londres : Faber and Faber.
- Hughes, Ted (1997). Tales from Ovid. Londres : Faber and Faber.
- Hughes, Ted (1998). Birthday Letters. Londres : Faber and Faber. (Recueil posthume, dialogue avec Sylvia Plath.)
2. Œuvres pour enfants
- Hughes, Ted (1961). Meet My Folks!. Londres : Faber and Faber.
- Hughes, Ted (1968). The Iron Man. Londres : Faber and Faber. (Roman pour enfants, adapté en film sous le titre The Iron Giant.)
3. Essais et critiques
- Hughes, Ted (1967). Poetry in the Making. Londres : Faber and Faber. (Essai sur l’écriture poétique, souvent utilisé dans les écoles.)
- Hughes, Ted (1992). Shakespeare and the Goddess of Complete Being. Londres : Faber and Faber. (Essai sur Shakespeare et les archétypes féminins.)
4. Correspondance et journaux
- Hughes, Ted (2007). Letters of Ted Hughes. Londres : Faber and Faber. (Correspondance éditée par Christopher Reid.)
5. Études critiques
- Sagar, Keith (1975). The Art of Ted Hughes. Cambridge : Cambridge University Press.
- Faas, Ekbert (1980). Ted Hughes: The Unaccommodated Universe. Santa Barbara : Black Sparrow Press.
- Gifford, Terry (1999). Ted Hughes. Londres : Routledge. (Biographie critique.)
- Reid, Christopher (2006). Ted Hughes: The Unauthorised Life. Londres : Jonathan Cape. (Biographie complète et controversée.)
- Hirsch, Edward (1999). The Demon and the Angel: Searching for the Source of Artistic Inspiration. Orlando : Harcourt. (Analyse de l’œuvre de Hughes dans le contexte de la création artistique.)
6. Ressources en ligne
- The Ted Hughes Society : www.tedhughessociety.org (Site dédié à son œuvre, avec des articles et des archives.)
- The Poetry Archive : www.poetryarchive.org (Enregistrements audio de Hughes lisant ses poèmes.)
- The British Library : www.bl.uk (Manuscrits et documents relatifs à Hughes.)
- France Culture : Émissions sur Hughes, notamment "Ted Hughes, le poète et la bête" (2018). (Lien : www.franceculture.fr)
Où trouver ses œuvres ?
En librairie (France/Québec)
- Librairie Shakespeare and Company (Paris) : Pour les éditions anglaises.
- Librairie Gallimard (Paris) : Pour les traductions françaises (ex. : Crow traduit par Michel Deguy).
- Librairie Olivieri (Montréal) : Pour les essais critiques.
En ligne
- Amazon.fr ou Fnac.com : Pour Birthday Letters et The Hawk in the Rain.
- Decitre.fr : Pour les études critiques (ex. : The Art of Ted Hughes).
En bibliothèque
- Bibliothèque nationale de France (BnF) : Pour les traductions françaises et les études critiques.
- Bibliothèque et Archives nationales du Québec (BAnQ) : Pour les essais sur son œuvre.