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PLACE AUX POÈMES

LIVRE ZOOM

70 - ZOOM DIOGÈNE

Zoom Diogène



Diogène de Sinope, né vers 413 av. J.-C. à Sinope (actuelle Turquie) et mort en 323 av. J.-C. à Corinthe, est l’une des figures les plus subversives et fascinantes de la philosophie antique. Surnommé « Diogène le Chien » (en grec Kynikos, d’où le terme « cynique »), il incarne l’idéal d’une vie libre, pauvre, et sans compromis. Il rejette les normes sociales, les richesses, et même les conventions les plus élémentaires, pour vivre en accord avec la nature et la raison. Son existence même est une provocation permanente : il vit dans un tonneau, se promène avec une lanterne en plein jour « à la recherche d’un homme honnête », et défie les puissants, y compris Alexandre le Grand.

Diogène ne laisse aucun écrit, mais son héritage nous est parvenu à travers les récits de Diogène Laërce, Platon, et d’autres auteurs antiques. Ses anecdotes sont devenues légendaires, et ses réparties restent des modèles de lucidité et d’ironie. Il prône une vie sans superflu, où le bonheur réside dans l’autosuffisance (autarkeia) et le mépris des apparences. Pour lui, la philosophie n’est pas une théorie, mais une pratique quotidienne : il vit ce qu’il pense, et pense ce qu’il vit.

« Un jour, Diogène, voyant un enfant boire dans ses mains, jeta son écuelle en disant : "Un enfant m’a devancé dans la simplicité de la vie." »


Source : Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, Livre VI, 38


« Alexandre le Grand, rencontrant Diogène étendu au soleil, lui demanda s’il désirait quelque chose. "Oui, répondit Diogène, ôte-toi de mon soleil." »

Source : Plutarque, Vie d’Alexandre, 14


« On lui demanda un jour pourquoi les hommes donnent aux dieux et ne reçoivent rien en retour. Il répondit : "Au contraire, les dieux nous donnent tout ce qui est essentiel, et nous ne leur offrons que des futilités." »


Source : Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, Livre VI, 63


« Diogène, voyant un jeune homme s’exerçant à tirer à l’arc, s’assit près de lui et lui dit : "Tu tires pour toucher la cible, mais moi, je vise à toucher la vie juste." »

Source : Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, Livre VI, 59


« Un jour, alors qu’il mangeait en place publique, des passants lui reprochèrent son manque de décence. Il leur répondit : "Si vous saviez comme il est facile de vivre quand on ne cherche pas à plaire aux autres, vous feriez comme moi." »

Source : Diogène Laërce, Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres, Livre VI, 69


Diogène est aussi connu pour ses paradoxes et ses actes symboliques. Il marche pieds nus, porte un simple manteau, et mange ce qu’il trouve, refusant toute forme de propriété ou de confort inutile. Il critique les institutions, les religions, et même les autres philosophes, comme Platon, qu’il qualifie de « Platon le superflu » en raison de son goût pour les spéculations métaphysiques. Pour Diogène, la vérité se trouve dans l’expérience directe, pas dans les théories. Il est le philosophe qui vit sa pensée, et dont la vie même est une œuvre d’art.

Son influence est immense, non seulement sur le cynisme antique, mais aussi sur des courants plus tardifs comme le stoïcisme, l’anarchisme, et même certaines formes de poésie et d’art contemporain qui prônent la simplicité et le refus des conventions. Des écrivains comme Henri Michaux ou Antonine Artaud ont vu en lui un précurseur de leur propre radicalité. Aujourd’hui encore, Diogène reste une figure inspirante pour tous ceux qui cherchent à vivre en dehors des normes, qu’ils soient poètes, philosophes, ou simples rêveurs d’une vie plus authentique.


Pour approfondir la vie et la pensée de Diogène, on peut se référer aux textes antiques qui le mentionnent, notamment :

  • Vies, doctrines et sentences des philosophes illustres de Diogène Laërce (Livre VI)
  • Vie d’Alexandre de Plutarque
  • Les Mémorables de Xénophon
  • Les Nuées d’Aristophane (où les cyniques sont parodiés)

Ces textes sont disponibles en ligne sur des plateformes comme Wikisource ou dans des éditions critiques comme celles des Belles Lettres ou Gallimard (Folio).


Diogène n’a pas écrit de poèmes, mais sa vie fut un poème : une œuvre de radicalité, de liberté, et de refus absolu des mensonges sociaux. Pour les poètes de La Page Blanche, il reste un modèle de ce que peut être une existence vécue comme une œuvre d’art.




ADDENDUM : LA REVUE DIOGÈNE



La revue Diogène, fondée en 1952 par Roger Caillois (1913-1978), n'est pas une revue de poésie au sens strict, mais elle est le lieu où la poésie rencontre les sciences humaines dans une perspective transversale et universelle. Elle incarne ce que Caillois appelait les « sciences diagonales ».

Voici une présentation structurée de cette revue mythique, essentielle pour comprendre comment la pensée poétique s'inscrit dans le paysage intellectuel mondial.

I. L’Identité de la Revue : Une Ambition Mondiale

La revue tire son nom de Diogène le Cynique, qui cherchait « un homme » avec sa lanterne. Sous l'égide de l'UNESCO et du Conseil international de la philosophie et des sciences humaines, Diogène avait pour mission de créer un pont entre toutes les cultures.

  • La transversalité : Contrairement aux revues spécialisées, Diogène publiait côte à côte des articles d'astrophysique, de sociologie, de poésie et d'archéologie.
  • Le multilinguisme : Elle fut l'une des rares revues à être publiée simultanément en plusieurs langues (français, anglais, espagnol, arabe, etc.), visant une « compréhension internationale ».

II. Roger Caillois : Le Poète du "Rocher" et du "Rêve"

Pour comprendre Diogène, il faut comprendre Caillois. Ancien dissident du surréalisme, il refusait l'imagination gratuite. Pour lui, la poésie était cachée dans les lois de la nature.

  1. Le Sacré et le Jeu : Caillois a théorisé le sacré et le jeu (L'Homme et le Sacré, Les Jeux et les Hommes) comme des structures fondamentales de l'humanité, thèmes qui irriguent la revue.
  2. L'Esthétique des Pierres : Passionné par les minéraux, il voyait dans les dessins des pierres une poésie objective, une écriture de la nature sans auteur humain.
  3. La Cohérence du Monde : Diogène était son outil pour prouver que le monde est un tout cohérent, où la structure d'un cristal répond à la structure d'un poème ou d'une société.

III. Pourquoi Diogène est important pour ZOUMPOPO ?

Bien que scientifique et philosophique, Diogène nourrit la poésie contemporaine sur trois points :

  • Le Refus du Gras Intellectuel : Caillois exigeait une écriture d'une précision chirurgicale, sèche et dense, rejoignant votre quête du « mot brut ».
  • La Poétique de l'Espace : La revue a exploré comment l'homme habite le monde, de la caverne à la cité moderne.
  • La Strate et la Trace : On y retrouve l'obsession des strates (historiques, géologiques, linguistiques) que nous avons vues dans le Zoom sur Pierre Lamarque.



Espace Bibliographique de Diogène


Diogène période Caillois 1952 – 1978 (il la dirige jusqu'à sa mort)

Éditeur actuel : Presses Universitaires de France (PUF)


Thèmes clés :


Mythes, langage, organisation sociale, esthétique naturelle


Archives disponibles sur le portail Cairn.info



Conclusion : La Lanterne de Caillois


La revue Diogène nous apprend que le poète ne doit pas regarder seulement dans son cœur, mais aussi dans les microscopes et dans les étoiles. C'est une revue qui « dé-zoome » sur l'humanité pour mieux comprendre le détail de son âme.

« Il s’agit de découvrir les lignes de force, les points de rupture, les articulations secrètes d’une réalité qui est une. » — Roger Caillois, Manifeste pour Diogène.