Le dépôt
74 - ZOOM CASARES
POÈMES
« El Sueño de los Héroes »
En el café de la esquina, donde el tiempo se ha detenido, los héroes del barrio beben su amargo vino. Son sombras de un pasado que no vuelve, fantasmas de una gloria que nunca fue.
Uno de ellos, el más viejo, cuenta una historia de traiciones y de espadas, de amores perdidos en la niebla del Río de la Plata. Los otros escuchan, pero no creen. Saben que la verdad es solo un sueño, y que la vida es un juego de naipes marcados.
Al final, cuando la noche se hace más oscura, el viejo se levanta, mira a sus compañeros y dice con una sonrisa triste: « Todo esto ya pasó, y sin embargo, aquí seguimos, soñando que fuimos héroes. »
« Le Rêve des Héros »
Dans le café du coin, où le temps s’est arrêté, les héros du quartier boivent leur vin amer. Ce sont des ombres d’un passé qui ne revient pas, des fantômes d’une gloire qui n’a jamais existé.
Le plus vieux d’entre eux raconte une histoire de trahisons et d’épées, d’amours perdus dans la brume du Río de la Plata. Les autres écoutent, mais ne croient pas. Ils savent que la vérité n’est qu’un rêve, et que la vie est un jeu de cartes truquées.
À la fin, quand la nuit devient plus sombre, le vieux se lève, regarde ses compagnons et dit avec un sourire triste : « Tout cela est déjà passé, et pourtant, nous sommes encore là, rêvant que nous fûmes des héros. »
Source : Adolfo Bioy Casares, El Sueño de los Héroes, 1954
« La Invención de Morel »
En la isla desierta, donde el tiempo se pliega, Morel ha creado un mundo de imágenes eternas. Sus máquinas capturan el instante, lo repiten sin fin, como un espejo que no se apaga.
Yo, el fugitivo, camino entre sombras que no son sombras, entre voces que repiten las mismas palabras, entre besos que nunca llegan a tocar. Soy el único real en este teatro de ilusiones, el único condenado a ver la eternidad sin poder participar de ella.
Morel me ha dejado su invento, pero no su secreto. Sé que estas figuras no son más que luz y tiempo, pero las amo como si fueran de carne y hueso. Porque en este laberinto de repeticiones, el amor también es una ilusión necesaria.
« L’Invention de Morel »
Sur l’île déserte, où le temps se plie, Morel a créé un monde d’images éternelles. Ses machines capturent l’instant, le répètent sans fin, comme un miroir qui ne s’éteint pas.
Moi, le fugitif, je marche entre des ombres qui ne sont pas des ombres, entre des voix qui répètent les mêmes mots, entre des baisers qui n’arrivent jamais à toucher. Je suis le seul réel dans ce théâtre d’illusions, le seul condamné à voir l’éternité sans pouvoir y participer.
Morel m’a laissé son invention, mais pas son secret. Je sais que ces figures ne sont que lumière et temps, mais je les aime comme si elles étaient de chair et d’os. Car dans ce labyrinthe de répétitions, l’amour aussi est une illusion nécessaire.
Source : Adolfo Bioy Casares, La Invención de Morel, 1940
« El Perjurio de la Nieve »
La nieve cae sobre Buenos Aires, blanca, fría, indiferente. Cubre los techos, las calles, los sueños, como si quisiera borrarlo todo.
Pero bajo su manto, la ciudad sigue viva, obstinada. Los amantes se buscan en la niebla, los ladrones acechan en las esquinas, los niños juegan a ser fantasmas.
La nieve miente. Promete pureza, pero esconde suciedad. Promete silencio, pero ahoga los gritos. Promete olvido, pero guarda las huellas.
Y cuando se derrite, lo que queda no es inocencia, sino el barro de la memoria, el lodo de lo que fuimos.
« Le Parjure de la Neige »
La neige tombe sur Buenos Aires, blanche, froide, indifférente. Elle couvre les toits, les rues, les rêves, comme si elle voulait tout effacer.
Mais sous son manteau, la ville reste vivante, obstinée. Les amants se cherchent dans la brume, les voleurs rôdent aux coins des rues, les enfants jouent à être des fantômes.
La neige ment. Elle promet la pureté, mais cache la saleté. Elle promet le silence, mais étouffe les cris. Elle promet l’oubli, mais garde les traces.
Et quand elle fond, ce qui reste n’est pas l’innocence, mais la boue de la mémoire, la boue de ce que nous fûmes.
Source : Adolfo Bioy Casares, El Perjurio de la Nieve, 1969
« Poema de los Dones »
A ti, que me diste el don de la duda, el don de la ironía, el don de ver el mundo como un sueño, y el sueño como un mundo.
A ti, que me enseñaste a reír de lo que otros lloran, a llorar de lo que otros ríen, a vivir en el borde de las cosas, donde la realidad se desvanece.
A ti, que me diste el don del miedo, el don de la cobardía, el don de saber que todo es vano, y sin embargo, seguir amando.
A ti, que me dejaste solo con mis dones, como un niño con juguetes rotos, pero que me enseñaste a jugar incluso con lo que no sirve.
« Poème des Dons »
À toi, qui m’as donné le don du doute, le don de l’ironie, le don de voir le monde comme un rêve, et le rêve comme un monde.
À toi, qui m’as appris à rire de ce que les autres pleurent, à pleurer de ce que les autres rient, à vivre sur le bord des choses, où la réalité s’évanouit.
À toi, qui m’as donné le don de la peur, le don de la lâcheté, le don de savoir que tout est vain, et pourtant, continuer à aimer.
À toi, qui m’as laissé seul avec mes dons, comme un enfant avec des jouets cassés, mais qui m’as appris à jouer même avec ce qui ne sert à rien.
Source : Adolfo Bioy Casares, Poema de los Dones, 1974
« El Idiota »
El idiota camina por las calles con su sonrisa de luna llena. No sabe que el mundo es un engaño, que las palabras son trampas, que los abrazos esconden cuchillos.
El idiota cree en la bondad, en la justicia, en el amor. No sabe que todo es un juego, y que él es el único que juega en serio.
Pero el idiota es feliz. Porque no sabe que es un idiota. Y mientras los demás se desangran en sus batallas sin sentido, él sigue caminando, con su sonrisa de luna llena, y su fe en lo imposible.
« L’Idiot »
L’idiot marche dans les rues avec son sourire de pleine lune. Il ne sait pas que le monde est un mensonge, que les mots sont des pièges, que les étreintes cachent des couteaux.
L’idiot croit en la bonté, en la justice, en l’amour. Il ne sait pas que tout est un jeu, et qu’il est le seul à jouer sérieusement.
Mais l’idiot est heureux. Parce qu’il ne sait pas qu’il est un idiot. Et pendant que les autres se vident de leur sang dans leurs batailles sans sens, lui continue de marcher, avec son sourire de pleine lune, et sa foi en l’impossible.
Source : Adolfo Bioy Casares, El Idiota, 1981
PRÉSENTATION
Adolfo Bioy Casares est né le 15 septembre 1914 à Buenos Aires, dans une famille aisée qui lui offrit une éducation raffinée et une liberté intellectuelle rare. Dès son adolescence, il se passionne pour la littérature, les énigmes, et les jeux de l’esprit. Il rencontre Jorge Luis Borges en 1932, et cette rencontre scelle une amitié et une collaboration littéraire qui durera toute leur vie. Ensemble, ils écrivent des nouvelles sous divers pseudonymes, explorant les frontières entre réalité et fiction, et inventant des mondes où le fantastique côtoie le quotidien. Bioy Casares, plus discret que Borges, est pourtant un maître de l’ironie, de la précision, et de l’étrangeté. Son style, à la fois élégant et cruel, mêle une prose limpide à des thèmes métaphysiques, où l’amour, la trahison, et l’illusion se mêlent comme dans un rêve éveillé.
Son œuvre est marquée par une fascination pour les labyrinthes de l’identité, les mirages du temps, et les jeux de dupe où les personnages se perdent dans leurs propres mensonges. La Invención de Morel (1940), son roman le plus célèbre, est une méditation sur l’amour, l’éternité, et l’illusion, où une machine permet de capturer des instants pour les répéter à l’infini, transformant les êtres en fantômes. Ce livre, salué par Borges comme un chef-d’œuvre, préfigure des thèmes chers à la science-fiction moderne, comme la réalité virtuelle ou la manipulation du temps.
Bioy Casares est aussi un conteur hors pair. Ses nouvelles, souvent courtes et ciselées comme des bijoux, explorent les failles de la perception, les mensonges sociaux, et les moments où la réalité bascule. Dans El Sueño de los Héroes, il dépeint des hommes ordinaires qui se raccrochent à des illusions de grandeur, tandis que dans El Perjurio de la Nieve, il montre comment la beauté peut cacher la corruption. Ses poèmes, moins connus que ses récits, sont des joyaux de concision, où chaque mot pèse comme une pierre, et chaque image ouvre sur un abîme.
Bioy Casares a également été un traducteur et un éditeur influent. Il a dirigé la collection La Pléyade pour les éditions Emecé, où il a publié des auteurs comme William Faulkner, Henry James, ou G.K. Chesterton, tout en encourageant les jeunes écrivains argentins. Son amitié avec Silvina Ocampo, qu’il épousa en 1940, donna naissance à une collaboration littéraire fructueuse, notamment dans le recueil Los que Aman, Odian (1946), où ils explorent les passions destructrices et les jeux de pouvoir dans les relations amoureuses.
Malgré son succès, Bioy Casares resta toute sa vie un homme discret, presque timide, préférant l’ombre à la lumière. Il mourut le 8 mars 1999 à Buenos Aires, laissant derrière lui une œuvre qui continue de fasciner par sa précision, son mystère, et sa capacité à transformer le quotidien en énigme.
BIBLIOGRAPHIE
Pour découvrir l’œuvre d’Adolfo Bioy Casares, voici quelques-uns de ses livres majeurs, où chaque page est une invitation à entrer dans un monde où rien n’est jamais tout à fait ce qu’il semble :
La Invención de Morel (1940), son roman le plus célèbre, une méditation sur l’amour, l’éternité, et les illusions de la réalité.
El Sueño de los Héroes (1954), un recueil de nouvelles où il explore les rêves brisés et les héroïsmes illusoires.
Diario de la Guerra del Cerdo (1969), une dystopie glaçante sur la violence et la barbarie qui sommeille en chacun de nous.
Historias de Amor (1972), des récits courts et percutants sur les passions, les trahisons, et les mensonges de l’amour.
Dormir al Sol (1973), un roman surréaliste où un homme se réveille dans un monde qui n’est plus le sien.
Poemas (1974), un recueil de poèmes où il distille son art de la concision et de l’ironie.
Los que Aman, Odian (1946, avec Silvina Ocampo), des nouvelles explorant les faces sombres de l’amour.
Antología de la Literatura Fantástica (1940, avec Borges et Silvina Ocampo), une anthologie qui a marqué des générations de lecteurs.
Ses œuvres sont disponibles en espagnol aux éditions Emecé et en français chez Gallimard (collection Du monde entier). Certains de ses textes peuvent aussi être lus en ligne sur des plateformes comme Cervantes Virtual.