La
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blanche

Le dépôt

AUTEUR-E-S - Index 1

29 - Susy Desrosiers

Fragments

Enfonçure

 

Fragile, tu ne touches plus le ciel : il y a trop de corbeaux sur tes épaules. Tu n’arrives plus à agripper le rebord de l’aurore : tes mains meurtries par les morsures des coups de chien.


Tu vis des déserts, des brumes. Ton existence découpée en côtes accores, en carrés de sable. Tu veux crier ta détresse, mais tu as la gorge pleine de roches.


Tu rêves parfois, encore, d’une terre d’exil aux horizons hachurés de promesses où les soleils habiteraient à nouveau les commissures de tes lèvres, où des étoiles naîtraient à ton passage.


Hélas, il te faut fuir jusqu’au bout de toi.




Underground


Au détour d’un slam, ta poésie crue, insolente, lourde de sens dont tu pèses les mots pour qu’ils te rendent ta légèreté.


Ta poésie comme un fuck you — art dont tu es passé maître d’ailleurs — pour t’extirper du cadre, de la structure, de la politicaillerie qui t’asphyxient.


Ta rage : ta seule façon d’avancer à contre-culture.


Ta poésie résonne… détonne, trop violente aux oreilles des bien-pensants.




Ride

 

Sous un soleil au sommet de son art, j’enfourche ma bécane : acolyte de mes fugues futiles et complice de mes rencontres illicites.

Des tableaux aux couleurs d’été, exposés, surexposés à la chaleur ondoyante, défilent sous mes yeux embrouillés par le zéphyr qui s’y frappe et agonise sur mes paupières. — Je verse une larme. — 


J’enterre ma couardise six pieds sous terre. Je mets les gaz. Vraoum! Je mange le bitume, au goût sauvage.


Les œuvres de la nature deviennent floues comme un film projeté en accéléré, s’esquivant de mon regard immobile de folle à lier.


Des réminiscences effilochées s’échappent de ma mémoire : visages sereins, champs de fleurs séchées, croix de chemin, se posent, se superposent sur la toile de mes loufs pensées.


Je me grise de paysages étrangers, ignorés, me saoule de liberté excitante, délinquante.





Rest area

 

Je suis née des deux rives du Saint-Laurent.

Ma peau : fleur de sel.

Enfance-bonbon, enfance-bidon.

La nuit, je ne dors pas, je veille, talons aiguilles sur le bitume.

Motel-air conditionné, vacancy, je suis ici chez moi.

Lit de fer blanc, baise cheap.

Sur le bord des autoroutes, rest area, une barre de fer,

entre les dents, j’attends mon prochain fix.