Le dépôt
Poèms pour La Page Blanche
Deux poèmes pour La Page Blanche
Quand tout sera passé,
lorsque tu ne seras plus qu’un homme.
Sans le silence pour te toucher,
la pensée à mille lieux d’exister.
Tes mots reculant
jusqu’à la scandaleuse absence.
L’espace même du voyage,
l’arôme du désert, le parfum des géants.
Tu trouveras
l’infortune, réconfortante, intentionnée.
Appuyée sur l’ombre de la mort
et courtisant l’iniquité.
Tu trouveras la rédemption
et le néant par dessus tout.
Tu trouveras ce qu’aucun autre n’a rêvé.
La discrétion à l’état pur.
L’ultime avant le rien,
et ce souffle désarmant la mémoire des souvenirs.
La solitude comme malentendu originel.
L’étrange conviction de n’avoir pas été.
Quand enfin,
tu laisseras la confiance enrichir l’évidence.
Accompagner ta fin.
Et enterrer tes mots sous une porte close.
Tu verras qu’au regard
de la mort tu ne seras plus qu’un inconnu.
© Extrait de « Le parfum des géants » 2021
Essaye,
réveille-moi d’entre les morts.
Tes paroles n’ayant qu’un jour d’avance
sur l’aube incalculable des possibles.
À la page des lumières.
Et prolongeant le récit
d’une histoire à mi-voix d’un rivage.
Douce
comme l’effleurement
d’une caresse sur la vérité d’un sourire.
Le silence purifié de toute conséquence.
La chaleur de nos corps
tenus de répondre à la mémoire qui s’éloigne.
Unissant nos mots pour ne pas les avoir vaincus.
Défiant la solitude prête à tout
et surtout à se déshabiller.
Et qui prend
tant de plaisir à te réserver son amour.
Alors, qu’importe
si tu dépouilles tes pages d’un secret bien gardé.
Le feu ne souille pas la cendre.
L’équilibre insistant n’a que faire
d’un silence invisible en habit du dimanche.
Nos cœurs sont aujourd’hui
assez fort pour mesurer leurs armes.
© Extraits de « Du feu sous les cendres » 2021
Extrait de " Ὀδύσσεια " Février 2022.
Es-tu certain d’être maître
de tes mots,
de cette eau
qui coule entre tes mains
et se fraye un chemin
parmi les ombres invisibles ?
Toi, qui as vu
sa tumeur
prendre le pas sur l’amour.
L’oubli d’un souvenir
assourdir la charge des orages.
Toi, qui as vu
ses mots
corrompre le lien
entre la création du monde et ta fin.
Digérer ta complicité
pour mieux la différer.
Mais qui n’a pas vu
le bain de sang qui coulait dans sa tête.
Tu sais maintenant
ce qu’est un silence avant l’heure.
Ce qu’il
se retient de dire
avant de tout balancer.
Ce qu’il arrache
à la vie
avant de tout séparer.
Tu sais maintenant
ce qu’il ressent
en contrepartie d’un semblant d’équilibre.
Tu sais
que la vie joue son rôle.
Adore se perdre au milieu des passants.
Convainc le passé
de tromper la mémoire.
Considère les angoisses
comme un spectacle sans importance.
Tu sais intimement
qu’au fond de chaque vie
sommeille l’opinion d’un terrible tyran.
Un pays en phase de rupture.
Aux dialogues
incapables d’échapper
au déferlement des images.
Écrivant sur tout
ce qui s’immobilise
et bien avant de perdre la face.
Un pays somme toute déchiré,
éprouvant l’isolement.
Et qui n’a
pour seul espoir
que de faire le tour du monde.
Alors,
des vallées de Kéros,
je n’obtiendrai plus rien.
De ses courbes humaines,
je ne dessinerai plus rien.
Le temps a rendu sa sentence,
livré l’aube à la mort.
Abandonné
son œuvre
dans un autre décor.
Et laissé l’amour croupir au fond d’une valise.
Extrait de " Ὀδύσσεια " Février 2022.
Parfois, l'amour est nécessaire
J’ai lu
tant de déserts dans tes yeux.
Vu tant de solitude
soutenue par la faim.
De silences entre tes mots.
Tant de ruses
blasphémant le papier
et fuyant dans d’infatigables métaphores.
Qu’il m’est devenu presque
impossible à présent de croire en ton langage.
°
Soixante-neuf mots.
Il n’aura pas fallu
plus de soixante-neuf mots
pour que la vérité
use de probabilités.
Pas plus
de quelques mots
pour en décrire le lieu.
Et multiplier
l’indispensable hasard
jusqu’à ce que naisse un tout autre silence.
Soixante-neuf mots
savamment orchestrés.
Assoiffés de frontières et de nu-propriété.
°
Alors,
à qui profite ce lieu
qui englobe
et prélève du vide
celui qui confond presque tout ?
Et quelle est
cette voix
qui serpente les mots,
et interrompt
le terrible silence ?
Comme autant
de formules abstraites saturées d’émotions.
D’étranges convictions,
et qui me donnent
toujours l’impression que je devrais être ailleurs.
°
Parfois,
l’amour est nécéssaire.
Parfois,
pour nous sauver,
renoncer à nous-même.
Et parfois pour ne conduire à rien.
L’amour a ses revers.
Parfois,
indispensables,
souvent indissociables.
Et s’entraîne à mourir dès que vient le matin.
°
Cet amour
de l’effort.
Parfois si recherché,
si long à approcher.
Et quel
est
ce poème
qui se donne
tant de peine ?
Qui pèse
davantage que
le silence.
Et qu’un simple reflet
dans ton regard suffit à renvoyer.
°
Je fais partie
de ceux
qu’on a vendu au moins offrant.
Qu’on a jeté
dans la maison d’un autre
pour faire taire quelque chose.
Je fais
donc
partie
de ceux
qu’on a muselé.
Plus silencieux que les autres
et aussi éloigné qu’un souvenir.
Je fais partie
de ceux
que l’espace a relégué,
que le vide a cultivé
et dont le nom ne dit plus rien à personne.
°
Je fais partie
de ceux
qu’on a frappé.
Qu’on a nommé
du doigt
parce qu’il ne restait que l’écorce.
Je fais
donc
partie
de ceux
que l’on dit creux.
Plus léger que les autres
et aussi hésitant qu’une appréhension.
Je fais partie
de ceux
qui ont vu le désert
courir dans la lumière
et les suppliques du leurre dévorer leur amour.
°
Parfois,
nous retardons
l’amour
jusqu’à le dévaster.
Nous
réveillons
nos sens
à l’approche d’un baiser.
Parfois,
c’est encore plus simple que ça.
Tellement
plus simple que
d’obtenir un arrangement.
L’amour
s'entraide à l’évidence,
et parfois désespère de ne pouvoir s’interposer.
°
Instinctivement irraisonné,
l’amour
est imprudent
et se lave avec les couleurs.
Contraint le blanc au naufrage.
L’amour à l’évidence
ne passe pas vraiment.
Exécute un dessin,
n’en laisse que la trace.
S’invite en pleine nuit,
ordonne toute la place.
Prophétise un malheur.
Et s’achève parfois
sur un simple mouvement de tête.
°
Si l’amour
est endurable, endure-le.
S’il
est nécessaire, avoue-le.
On dirait,
à le voir,
qu’il pénètre jusqu’au cœur.
Incline le temps,
en courbe la raison.
Sort les canons,
la lyre et ses accords.
À tant pleurer l’amour,
on dirait à le voir
que tu le cherches encore.
°
Parfois,
ignorant ce qui le quitte.
Et confondant
celui qui le retient.
De la plus
extrême absence
à la plus grande présence.
Quand,
se couvrant
de larmes sans parole.
Et même remplacées par d’autres.
L’amour
ne rétrocède jamais ce qu’il feint de montrer.
°
S’isole
sans se sentir atteint.
Trouble
le langage de signes illisibles.
Remonte du corps
autant que du néant.
Inonde la lumière
davantage que la parole.
Aveugle le regard
envieux
des jeunes amants.
Et se noie volontiers dans l’azur.
°
Parfois,
contemplatif
et plus fragile qu’une fleur en chatons.
L’amour ne voit pas les canons.
L’ombre écrasante des ténèbres.
Par définition
n’entend
rien d’autre que
la folle envie
qui sourd
l’idée de grandes conquêtes.
Et gronde volontiers dans
tout ce qui de l’unique le rend imprévisible.
°
J’ai lu
tant de violence dans tes yeux.
Vu tant
de faiblesse
porter plainte pour un rien.
D’indifférence
nous rejeter au loin.
Tant de coups
balancés ou rien ne fut atteint.
Qu’il m’est devenu presque
impossible à présent de croire en ton langage.
°
Tant d’innocence
gisant sur le parquet.
S’abritant
résolue
à se couvrir de noir.
À ne plus voir le jour.
De gorges serrées
de frayeur
et implorant le pardon.
Tant de signes d’absence
se comparant à des signes d’amour.
°
Je fais partie
de ceux
qu’on dit esclaves.
Le nom décidé
bien avant la naissance.
La moitié du visage
paralysée de reproches.
Et se punissant
encore
à vouloir
trop cherche
pourquoi
celui qui part
est celui dont on ne parle jamais.
°
Je fais partie
de ceux
qui l’ont quitté.
Une balle
collée en plein front.
Rompue
en son milieu
de rancœurs indivisibles.
De prières
en pleine tentation.
Contraire aux intentions.
Et incapable de l’extraire sans avoir à revenir.
°
Maintenant,
que j’ai appris
davantage sur l’amour
que ce que j’ai appris de la guerre.
Davantage de la solitude
que ce que j’ai appris sur l’amour.
Et mille fois plus de toi
que si j’avais toujours été aimé.
Il suffirait peut-être
de bien tenir son propre cœur
avant de le disperser dans ceux des autres.
Et même
s’il crève de faim,
même s’il éclate en façade et se lie au destin.
°
Même s’il ment
et se craint
comme ceux qui sont partis.
Et même s’il n’éveille personne d’autre que lui.
Lorsque
vous entrerez dans l’amour.
Faites silence.
Comme
celui qui entre sans parler,
se relève après être tant de fois tombé.
Et faites
place à la patience
que ressentent
les îles
au regard de lointains continents.
°
Parfois,
l’amour est nécessaire.
Parfois,
gravit le ciel,
s’aménage un nuage.
Et parfois y renonce faute de moyens.
L’amour a ses travers.
Parfois,
tombe du ciel,
n’y croit pas un instant.
Et porte notre cœur à suivre son chemin.
°
Cet amour qui dit tout.
Se croit
en terrain neutre.
Et finit par
ne parler qu’au silence.
Cet amour
qui constamment s’arrange.
Supposé,
si peu
envié,
et qui
caresse
avec dédain
une hypothèse au coin du feu.
°
Alors,
gardez vos larmes.
Gardez vos larmes
pour ceux qui resteront fidèles.
Ceux que la vie écarte.
Rend inséparables.
Pour tous ceux
qui livrent leur manque aux nomades.
Ceux
qui cloués
dans l’impensable
errent
jour après jour
au désert des remparts.
°
Alors,
gardez vos mots
pour le chant des vaincus.
La danse
que ces enfants
imitent
en attendant l’amour.
À proximité du désir.
Et dans l’attente
que vienne enfin un autre monde.
Gardez-les bien
et qu’ils ne réveillent personne.
La mort s’empare toujours
des mots que n’ont pu se dire les amants.
°
Tout comme les mots,
l’amour implose
à l’évidence,
et parfois par nécessité.
D’un cœur
si grand ouvert
et si uni
que des voix,
l’une après l’autre,
et sans chercher
à se sauver,
ont fini par ruiner.
Parfois,
dans l’air paisible,
nous pouvons encore les entendre.
Quand
l’amour sommeille au lit d’un feu disparu.
°
Parfumé d’un invisible combat.
Et que les mots
alertent en y incorporant un paysage.
Parfois,
c’est plus simple que ça.
Tellement
plus simple que
de gagner l’horizon.
Alors, pardonne-moi.
Pardonne-moi
de ne pas m’être retourné.
L’amour s’accommode comme il peut,
et ne capitule que s’il se rappelle à nos rêves.
°
J’ai lu
tant d’inquiétude dans tes yeux.
Vu tant de peur
appréhender l’avenir.
D’espace entre tes mots.
Tant d’incompréhension
recourir à la colère
et fuir dans des fêtes nocturnes.
Qu’il m’est devenu presque
impossible à présent de croire en ton langage.
°
Mille mots.
Il n’aura pas fallu
plus de mille mots
pour que tombe la sentence.
Pas plus
de quelques mots
pour en décrire le lieu.
Et multiplier
l’indispensable hasard
jusqu’à ce que naisse un tout autre silence.
Mars/2022